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27 octobre 2011 4 27 /10 /octobre /2011 17:45

 

En 1892, un département de sociologie est créé à Chicago et c'est l'apparition de l'anthropologie des migrants avec William Issac THOMAS (1863-1947) & Robert Ezra PARK (1864-1944) qui montrent la double appartenance de l'individu en diaspora, c'est-à-dire un univers d'origine et un univers du pays de résidence.

    • THOMAS, en se rendant en Pologne entre 1908 et 1913, rend compte de l'importance qu'il y a à connaître l'univers culturel de l'émigrant. Pour lui, finalement, émigration et immigration sont indissociables. En effet, la connaissance du milieu permet de saisir l'impact du nouveau contexte.

    • PARK, lui, pose la question suivante : qu'est-ce qui se passe chez l'I vivant un processus d'acculturation et se trouvant confronté à des allégeances multiples ? Il explique que c'est l'expérience migratoire qui est déterminante dans la construction de la personnalité du migrant.

 

> L'article de PARK « Human Migration and the Marginal Man » (1928)

 

En 1928, c'est l'apparition de l'expression « homme marginal ». Pour PARK, « hormis l'assimilation qui ne se réalise pas forcément, il envisagera aussi la formation de « minorités », voire de « castes » » (p.16). Les phénomènes migratoires posent également des problèmes culturels et psychologiques, et non seulement démographiques et géographiques. Le fait migratoire est fondamental pour rendre compte de l'évolution des cultures. En fait, c'est l'idée que le migrant est de plus en plus solitaire et se retrouve confronté à deux cultures et deux sociétés. L'interprétation et la fusion de de celles-ci ne sont jamais complétement réalisées. Cette situation de marginalité a comme conséquence l'impossibilité de s'identifier à l'une ou l'autre des deux cultures auxquelles il participe. Finalement, l'homme marginal vit tout à la fois « dans deux mondes dans lesquels il est plus ou moins en danger ». L'homme marginal est identifié à un étranger, du moins d'après PARK. Pour fonder son appréciation de l'homme marginal, il s'appuie sur les travaux de SIMMEL (1858-1918). Pour celui-ci, la notion de marginalité, bien qu'elle ne soit pas explicitement cité, est implicitement présente à travers l'analyse de l'unité de la distance et de la proximité qui caractérise la position de l'étranger et qui sera au coeur de la problématique de « l'homme marginal » chez PARK. « L'étranger, écrit SIMMEL, est un élément du groupe lui-même, tout comme le pauvre et les divers « ennemis de l'intérieur », un élément dont la position interne et l'appartenance impliquent tout à la fois l'éxtériorité et l'opposition. » (1908).

 

> L'ambivalence étranger-immigrant apparaît, se déclinant en intériorité/extériorité et en distance/proximité.

 

      • Ambivalence par la participation simultanée à deux univers sociaux et culturels => il tendance à les idéaliser mais aussi à les critiquer.

      • Ambivalence perceptible à l'égard de la culture et de la société d'installation => il peut même faire l'objet d'une certaine répulsion de la part de la société d'installation quant l'immigrant se trouve confronté à la xénophobie, au racisme (cf. texte de Pierre-Jean SIMON).

      • Ambivalence qui s'exerce vis-à-vis de lui-même (l'immigrant) => l'individu en situation de marginalité développe une très grande conscience de soi et une extrême sensibilité à son environnement. Il se regarde à travers le regard des autres et il se fait une image positive de lui-même par rapport au groupe minoritaire dont il est issu.

 

> La thése de STONEQUIST, The Marginal Man : a Study in Personality and Culture Conflict (1937) confronté à celle de PARK.

 

      • STONEQUIST met l'accent sur l'état de crise que vit l'homme marginal. Il développe donc une vision pessimiste de l'homme marginal. La personnalité marginale serait en fait une forme de double personnalité. Il étend le concept d'homme marginal à tout individu qui « s'est trouvé involontairement initié à deux ou plusieurs traditions historiques, linguistiques, politiques, religieuses, ou à plusieurs codes moraux ». La marginalité conflictuelle peut aussi apparaître au sein même du groupe culturel d'appartenance. STONEQUIST, concernant le devenir et le rôle que pourrait jouer dans la société l'immigrant, met l'accent sur les difficultés d'insertion sociale de l'immigrant qui devient un « dépaysé », un « déclassé » et enfin un « déraciné ».

      • PARK évoque l'état de crise permanent que connaît l'homme marginal, mais pour lui la crise n'est pas un état anormal et n'a pas nécessairement de conséquences négatives. L'homme marginal caractérisé l'immigrant, l'étranger, et est définit comme un « hybride culturel ». Il est optimiste concernant le devenir et le rôle que peuvent jouer dans la société les immigrants.

 

> Roger BASTIDE et « le principe de coupure »

 

BASTIDE juge essentiel de prendre « aux sérieux » l'expérience de la migration et ses conséquences psychologiques. La migration, c'est une opération qui aboutit à une transformation de l'individu. Ses recherches de terrain l'ont amener à contester certaines affirmations de STONEQUIST. BASTIDE concède : « J'avais raisonné avec avec une mentalité de sociologue, une mentalité logique postulant qu'à tout syncrétisme externe devait correspondre un syncrétisme psychique. » (1946) Le terme de « syncrétisme » a un sens plus ou moins négatif, synonyme d'assemblage hétéroclite. Ainsi, se référer à un « syncrétisme psychique » c'est évoquer une certaine confusion psychique. BASTIDE ne conteste pas les phénomènes de marginalité, mais l'analyse faite par STONEQUIST. Finalement, ce n'est pas la marginalité culturelle qui est la cause de la marginalité psychologique, mais c'est bien plus la marginalité sociale. « La marginalité (psychologique), écrit BASTIDE, est plus prise de conscience de 'résidus' que de déchirement entre deux cultures antagonistes. » (1955)

La marginalité culturelle ne se transforme pas nécessairement en marginalité psychologique grâce à un mécanisme psychique que BASTIDE appelle « le principe de coupure ». « Ce principe permet à l'individu de vivre simultanément et sans drame dans deux mondes culturels différents en contact l'un avec l'autre » (p.22). Ces coupures sont délimitées et maîtrisées par l'homme marginal. Elles lui permettent d'éviter sa propre déchirure. Pour BASTIDE, le principe de coupure est un mécanisme de défense de l'inconscient qui permet à l'individu de conserver son intégrité psychologie, son équilibre, tout rn vivant une participation à deux univers culturels. Grâce au principe de coupure, l'individu ne vit pas entre deux cultures, mais dans chacune des deux sans les faire communiquer directement. BASTIDE a introduit une nouvelle notion, celle de « société marginale », c'est-à-dire de groupe marginal ou de communauté marginale. Selon lui, l'individu marginal est d'autant moins menacé par l'inadaptation et l'instabilité psychologique qu'il appartient lui-même à une « société marginale ».

 

Il ne faut pas confondre les notions « d'homme marginal » et de « société marginale », car elles renvoient à des réalités différentes :

=> L'une d'ordre essentiellement psychologique (STONEQUIST)

 => L'autre d'ordre anthropologique = toutes les sociétés marginales ne remplissent pas automatiquement cette fonction de société de passage (BASTIDE)


> Le « portrait » de l'homme marginal

 

Les individus en situation de marginalité culturelle ne sont pas des inaptés sociaux. Ils sont souvent très adaptables et particulièrement créatifs. Les « marginaux culturels » trouvent une plus grande marge de liberté et de manoeuvre qui explique leur créativité. BASTIDE ne pense pas que le déracinement soit un drame en soi. Il les voit comme des individus pourvus de ressources culturelles multiples, acquises dans leurs différents univers d'appartenance. Cette absence de racines, d'après SIMMEL, confère à l'étranger l'objectivité et la liberté qui le caractérise. BASTIDE rejoint, sans le savoir vraiment, PARK. Il est convaincu que la marginalité culturelle est souvent souce de créativité et de synthèses culturelles fécondes.

 

En conclusion, disons qu'il n'est pas surprenant que l'approche compréhensive de l'étranger, de l'immigrant, de l'homme marginal, comme sujet conduise des auteurs comme SIMMEL, PARK et BASTIDE à une conception positive des migrations. La migration est aussi un fait individuel, elle affecte profondément le migrant, elle le transforme, elle fait de l'homme marginal un « citoyen du monde », disponible et ouvert.

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12 août 2011 5 12 /08 /août /2011 21:02

H4170009-L._Adolphe_Quetelet-_Flemish_astronomer-SPL.jpgDans ses Cours, Auguste Comte parle de physique sociale. Un terme qu'employait déjà Adolphe Quételet (1796-1874), sur lequel je vais revenir ici. En 1835, chez Bachelier, il publie un Essai de physique sociale dans lequel il s'attache au développement des facultés de l'homme. Il part du principe que l'homme est soumis à des lois naturelles qui agissent sur son développement. C'est une forme de déterminisme puisque l'existence de lois pour expliquer les actions de l'homme reviens à nier le hasard et la possibilité de transformations imprévues. Charles Darwin mettra fin à cette croyance, mais bien plus tard.

 

L'homme, « en le dépouillant de son individualité, nous éliminerons tout ce qui n'est qu'accidentel ; et les particularités individuelles qui n'ont peu ou point d'action sur la masse s'effaceront d'elles-mêmes, et permettront de saisir les résultats généraux ». Cette citation est intéressante car elle nous rapproche de Durkheim. En effet, pour Quételet, l'individu en tant que tel, n'a pas d'influence sur la masse. Tout ce qui est particulier n'est pas digne d'intérêt. L'homme forme un tout qu'il faut prendre comme tel. Ici, l'objet d'étude c'est l'espèce humaine et, pour aller plus loin, c'est la société tout entière – la « masse » - au détriment de l'individu.

 

Or, Max Weber montrera, par la suite, que l'individu a une importance. Les accidents peuvent avoir des conséquences au point de créer quelque chose de nouveau. Les minorités peuvent devenir majorités comme une faiblesse peut devenir une force. Alors oui, les particularités individuelles peuvent agir sur la masse. Quételet propose de prendre du recul pour étudier les lois concernant l'espèce humaine « car en les examinant de trop près, il devient impossible de les saisir (...) ». Seulement, nier l'individualité, c'est forger des généralités sur des appréciations d'ensemble et donc, finalement, abstraites. En effet, prendre l'évolution d'un groupe d'individus dans le temps en niant les transformations individuelles qui ont contribué à cette évolution c'est ce borner à l'étude de la surface.

 

Les esprits les avisés diront fort justement que l'espérance de vie est le résultat de la moyenne des âges à la mort des individus composant le groupe. Or, Quételet ne s'intéresse qu'à l'évolution de la moyenne. Cela nie l'existence d'individu pouvant être morts très âgés avec d'autres morts très jeune. Cela n'est toutefois pas la même chose que des individus morts environ au même âge. Dans les deux cas, il est possible de trouver le même résultat, mais les conclusions seront différentes. Plus précisément encore, Quételet s'intéresse à ce qui, dans une série statistique par exemple, reviens le plus souvent. N'est-ce pas ce que fait Durkheim avec le suicide ?

 

Pour sa part, Quételet explique que « l'expérience prouve que non-seulement les meurtres sont annuellement à peu près en même nombre, mais encore que les instruments qui servent à les commettre sont employés dans les mêmes proportions. » Cette évidence ne permet pas d'expliquer pourquoi les meurtres sont commis et quel est l'origine sociale de cette forme de violence. Simplement, la stabilité de la moyenne montre un taux constant de meurtre admissible dans une société, car inévitable. La hausse ou la baisse de cette moyenne entraîne en revanche d'autres conclusions. Si cette moyenne a un sens et qu'il faut en tenir compte, cela exclus les individualités. Qui sont les meurtriers ? Qui sont les victimes ? Max Weber aurait sûrement dressé le portrait d'un certain nombre de ces meurtriers et de ces victimes pour en dresser un type idéal, puis, seulement ensuite, il aurait sans doute comparer l'évolution de ces idéaux types.

 

Quételet est donc le garant d'une sociologie quantitative avant Durkheim. Pourtant, il est bien souvent laissé dans l'ombre, malgré l'importance qu'il a eu concernant les sciences mathématiques. Il n'est ni Français, ni véritablement sociologue, mais il a contribué à collecter de précieuses données sur la population. En revanche, s'il n'est pas un sociologue reconnu, c'est un des tout premier statisticien moderne puisqu'il a mis en avant la collecte de données sur le monde social et qu'ils les a aussi analyser et interpréter. Pour ce faire, il utilise les techniques des mesures, des enquêtes et des relevés déjà impulsés au XVIIIe siècle avec la pratique des recensements. En cela, il est précurseur de notre INSEE.

 

L'objectif de Quételet était d'utiliser les sciences dures dans les sciences de l'homme. Ainsi, partant du principe que les phénomènes astronomiques sont prévisibles, il annonce que les phénomènes sociaux peuvent aussi l'être, en fonction de certains critères définit scientifiquement, dont la moyenne fait partie. Pour lui, avoir l'idée de l'évolution « normale » d'un phénomène permettra de détecter lorsqu'une courbe de données devient « anormal ». Par exemple, si la moyenne des meurtres commis avec une arme à feu augment considérablement.

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26 avril 2011 2 26 /04 /avril /2011 10:00

Cette dernière partie a pour fonction de montrer comment le capitalisme a évolué et pourquoi Weber s’en inquiète. Il regrette la perte du caractère religieux du capitalisme. Un caractère que Tocqueville juge indispensable pour faire fonctionner la démocratie américaine. Et les Etats-Unis sont capitalistes. Weber, dans L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, parle de Benjamin Franklin (1706-1790, très connu dans la lutte pour l’indépendance des Etats-Unis) comme une figure annonciatrice du capitalisme.

 

Perte du caractère religieux

 

À la fin du XIXe siècle, en Allemagne, la vie religieuse n’est plus à la base de la vie quotidienne. Elle est passée au second plan. Même si, au départ, les Protestants se sont montrés peu favorables au progrès de la science et sont opposés à Copernic, ils l’ont bientôt mis au service de la technique et de l’économie. Weber affirme : « La racine religieuse de l’humanité économique moderne est mort. » Ce constat revient assez régulièrement chez Weber, qui observe que la religiosité ascétique se transforme en une sorte de pessimisme réaliste, c’est-à-dire que les vices privés peuvent présenter un intérêt pour la collectivité. Intérêt pervers, comme le souligne Weber. L’éthos économique, c’est-à-dire le caractère économique de la société moderne, était né sur le sol de l’idéal ascétique et était à présent privé de son sens religieux. Cela engendre des problèmes. La classe ouvrière, qui croyait au bonheur éternel, a perdu ses illusions. Alors, que se passe-t-il ? Des tensions apparaissent et elles n’ont pas cessé de croître jusqu’à aujourd’hui.

 

La soif d’argent

 

L’accumulation du capital était-il nécessaire pour parvenir au Salut, c’est-à-dire aller au Paradis ? Avec la perte de son caractère religieux, l’entrepreneur est désormais attiré par l’argent pour l’argent. Cette attitude est celle de nos actionnaires du XXIe siècle. Le résultat, c’est que les petits entrepreneurs, et les personnes qui n’ont pas su s’adapter sont éliminées. Une infime partie de riches s’approprient la plus grande partie des richesses. C’est un problème récurrent à l’échelle planétaire. Le sentiment de puissance et de richesse est désormais une notion prioritaire. Weber parle de décadence de l’esprit capitaliste. Certains bourgeois sont anoblis et ils bénéficient de certains privilèges dans les universités. Weber les appelle les parvenus. L’entrepreneur devient un profiteur et non plus un investisseur. Même si certains systèmes, comme le fordisme, ont essayé d’allier économique et social, ils ont en partie échoué. Weber parle d’auri sacra fames (=la soif d’argent).  

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24 avril 2011 7 24 /04 /avril /2011 10:00

Le capitalisme, pour Christian Godin, c’est un « système économique qui tend à transformer toute réalité, matérielle ou immatérielle, en capital et en marchandise. » Et il ajoute que « le capitalisme traduit toute réalité en une certaine quantité d’argent. » Pour Weber, l’esprit du capitalisme désigne une disposition qui, dans le cadre d’une profession, aspire de façon systématique à un profit pour le profit. Nous allons montrer comment le capitalisme fonctionne, par quoi et comment il se matérialise, c’est-à-dire que nous verrons le type idéal de l’entrepreneur moderne.

 

L’esprit du capitalisme

 

Nous avons vu que le capitalisme moderne est né par un changement d’esprit et non de forme, c’est-à-dire que l’entrepreneur, en réduisant les prix et en augmentant son capital, devient actionnaire. Pour Weber, et je cite, « cette révolution ne dépend pas d’un afflux d’argent frais […] mais d’un esprit nouveau : « l’esprit du capitalisme » est entré en action » (texte 1, p.2). Le développement du capitalisme entraîne à l’époque un problème. En effet, le capitalisme créé ses propres moyens d’actions, c’est-à-dire son propre capital, ses propres réserves monétaires, et donc, il exclut, voire élimine, les entrepreneurs traditionnels qui n’ont pas su s’adapter au nouveau système. La nouvelle pensée est rejetée, car elle est incomprise. Pour Weber, l’entrepreneur doit forger sa réputation « en vertu de qualités esthétiques bien déterminées et fortement développées ». Le Protestantisme a rompu avec le système catholique au moment de la Réforme, comme nous l’avons vu. « Par là même, explique Weber, l’ascèse hors du monde disparaissait. Ceux qu’animait une nature religieuse stricte, et qui jusqu’alors se retiraient dans les monastères, devaient désormais accomplir les mêmes choses mais dans le monde ». C’est l’ascèse intramondaine, c’est-à-dire l’idée que chacun est moine en ce monde, qui permis l’apparition de l’éthique protestante.

 

Les commandements du Protestantisme

 

Nous allons voir, à présent, comment se traduit l’exemplarité éthique (=morale) des Protestants et comment ils accomplissent leur devoir envers Dieu. L’exemplarité éthique, c’est, pour simplifier, l’exemplarité morale. Une morale implique le respect de certaines normes sociales qui guident, conduisent notre mode de vie. La vie religieuse est donc très importante, car sans elle il n’y aurait pas eu l’apparition de l’esprit capitaliste que décrit Weber. Dieu reconnaît les siens. « La piété est le plus court chemin vers la richesse », affirme Weber. Le capitalisme protestant n’est pas orienté vers la spéculation pure et simple – comme chez les Juifs – mais il repose sur une organisation bourgeoise du travail. C’est le capitalisme puritain. L’homme est le gérant de ce que Dieu lui a donné. La notion de beruf c’est la vocation, « ce à quoi l’on est appelé » ; c’est la mise en valeur d’une activité rationnelle, comme l’accomplissement d’une tâche voulue par Dieu. Finalement, le beruf fait miroiter à l’entrepreneur protestant le bonheur éternel. L’admission dans la communauté repose sur une exemplarité éthique qui s’identifie à l’honorabilité des affaires. Seul le protestantisme a mis en place un dispositif destiné à la formation systématique d’individus capitalistes.

 

Des « principes » bourgeois

 

Nous avons décrit le mode de vie de l’entrepreneur du XVIIIe siècle, mais en quoi a-t-il changé ? Un entrepreneur « capitaliste » doit avoir un fort caractère, savoir faire preuve de sang-froid, et il doit inspirer (ou chercher à inspirer) de la confiance. Lorsque les entrepreneurs traditionnels changent de « statut », ce sont des calculateurs et des audacieux plus que des spéculateurs et des aventuriers. L’entrepreneur moderne doit respecter plusieurs critères : la sobriété, la sûreté, la perspicacité, le dévouement, la sévérité, et être bourgeois. Ces entrepreneurs, dès lors, se soustraient à la tradition. Weber parle « d’Aufklärung libérale », c’est-à-dire, littéralement, d’éclaircissement. Cette notion renvoie au siècle des Lumières et signifie en allemand « philosophie » ou « siècle ». La notion de Raison, avec Kant par exemple, l’emporte, ainsi que l’idée de progrès. Weber explique que, par cette attitude, les entrepreneurs sont portés par un intérêt exclusif pour leur affaire, « devenue indispensable à leur existence » ; d’où la naissance d’une conduite irrationnelle. C’est l’homme qui existe en fonction de son entreprise et non l’entreprise qui existe en fonction de l’homme. Weber nous dit, en effet, de l’entrepreneur capitaliste, que « sa vie emprunte souvent un visage ascétique » (=contrôle de soi).

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22 avril 2011 5 22 /04 /avril /2011 11:00

Raymond Aron, dans La sociologie allemande contemporaine (PUF, p.81-126), affirme que la sociologie de Max Weber est imprégnée par l’histoire. Cet intérêt pour l’histoire se retrouve dans la notion de type idéal, construction conceptuelle qui lui permet de comprendre une réalité historique comme le capitalisme. La méthode compréhensive consiste à trouver, pour Weber, le sens que les individus donne à leurs actions. C’est ce qu’il fait ici avec le capitalisme. Il se demande comment les Protestants ont contribué à la naissance de l’esprit capitaliste moderne ? Nous verrons qu’il apparaît après la rupture religieuse provoquée par la Réforme. Rupture qui entraîne un changement d’esprit dans la gestion de l’entreprise. Changement d’esprit qui s’est développé à partir de l’ascétisme religieux des Protestants.


La Réforme et la rupture avec le catholicisme

 

Nous allons nous interroger plus particulièrement sur les causes historiques du capitalisme moderne. Max Weber considère que le Protestantisme est à l’origine du capitalisme moderne, c’est-à-dire qu’il est fondé sur une organisation bourgeoise du travail. L’éthique protestante n’est cependant qu’une explication de la naissance du capitalisme moderne, et non la seule explication. Dans l’Histoire économique, qui correspond au deuxième texte dont nous faisons l’analyse, Weber prend deux exemples de communauté d’ascètes célibataires, les moines tibétains et les moines catholiques du moyen âge. Les seconds, notamment, menaient déjà une vie rationnelle, c’est-à-dire qui repose sur une bonne méthode, et dont l’objectif était d’atteindre l’au-delà. L’objectif des Puritains, comme nous le verrons, est le même. Seulement, comme le montre Weber, les Catholiques reste hostile à l’accumulation du gain. Ils se méfient de la richesse et ont plutôt tendance à valoriser la pauvreté plus que le travail, la charité plus que l’épargne, la dépense ostentatoire plus que l’investissement. La Réforme protestante, dont le point culminant se situe au XVIe siècle, se traduit par des guerres meurtrières en France ou en Allemagne. La question du Salut des âmes est ici importante. Pour les Catholiques, il peut être accordé par la rémission des péchés (c’est la pratique des indulgences). Pour les Protestants, au contraire, et c’est ce que Weber appelle le puritanisme calviniste, le Salut de l’âme d’un croyant n’est pas prédestiné. Il y a une angoisse réelle au sujet de son devenir dans l’au-delà. Le fidèle, toujours selon Calvin, doit, pour obtenir la rémission de ces péchés dans l’au-delà, développer une intense activité « intramondaine », c’est-à-dire un engagement dans le monde. Weber explique que, je cite, « les églises ascétiques qu’engendra le protestantisme prodiguèrent à cette ascèse intramondaine l’éthique adéquate », c’est-à-dire la morale appropriée.

 

L’ascétisme religieux des Protestants

 

L’ascèse, selon le dictionnaire Larousse, vient du grec askêsis qui signifie exercice. L’ascèse c’est une manière de vivre de quelqu’un qui s’impose certaines privations, ou pour le dire autrement, c’est un effort visant à la perfection spirituelle par une discipline constante de vie. Pour Weber, c’est l’idée que chacun est moine en ce monde. Les Protestants accordent une grande importance aux confessions religieuses. Pour entrer dans une d’elles, le croyant doit subir un examen  de sa conduite morale. La religiosité ascétique des quakers (société anglicane des Amis), des baptistes et des méthodistes, par exemple, se fonde la formule « honesty is the best policy », c’est-à-dire « l’honnêteté est la meilleure politique », et sur l’idée que, par expérience, Dieu reconnaît les siens dans l’au-delà. En étant honnête dans le monde, en plaisant par là à Dieu, les Protestants multiplient les chances d’avoir une bonne place dans l’au-delà.

 

Le changement d’esprit dans la gestion de l’entreprise

 

Weber construit sa pensée à partir de types idéaux. D’un point de vue méthodologique, Weber différencie la forme de l’esprit d’un idéal type, c’est-à-dire qu’il fait la différence entre la façon dont le capitalisme s’exerce et la manière dont il est pensé. Ainsi, dans L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, il dresse l’idéal type de l’entrepreneur du XVIIIe siècle. « À tous égards, explique Weber, c’était là une forme d’organisation « capitaliste » : l’entrepreneur exerçait une activité purement commerciale. » L’entrepreneur gère sa comptabilité et emploi des capitaux. Son activité est donc rationnelle. Il exerce une forme de capitalisme. L’esprit de l’entrepreneur du XVIIIe siècle, en revanche, est resté traditionnel. Traditionnel par son mode de vie (rencontre au café avec ses collègues), par le taux de profit (relativement faible), par la quantité de travail fourni (5 à 6 heures par jour, ce qui est très peu à l’époque), par l’absence de concurrence, par la gestion de l’entreprise et par le rapport entretenu avec les employés et les clients. Ce qui a changé, ce n’est donc pas la forme, mais l’esprit de l’entrepreneur. C’est important, car cela va changer le mode de vie de l’entrepreneur. Il ne gagne plus de l’argent pour commercer, mais pour spéculer, c’est-à-dire qu’il devient actionnaire. Le principe est de réduire les prix et d’augmenter le capital.

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20 avril 2011 3 20 /04 /avril /2011 18:00

Aujourd’hui, le capitalisme connaît une nouvelle crise profonde comme il en a connu déjà en 1929 et dans les années 70. La façon dont la crise actuelle a été gérée (par la priorité donné à la réinjection de capitaux dans l’économie mondiale au dépend des problèmes sociaux qui passent ainsi au second plan) montre les dérives que le capitalisme moderne permet, c’est-à-dire une approche plus financière que sociale, qui place le capital avant l’individu, celui-ci n’étant qu’un moyen permettant d’accéder à l’argent. Le capitalisme moderne ressemble fortement aux dérives que Max Weber a analysées au début du XXe siècle. Mais, quelles sont ces dérives ? Et, plus largement, si dérive il y a, cela veut dire qu’il existait un autre modèle capitaliste. C’est de cet autre modèle capitaliste dont nous allons parler au travers de deux textes de Max Weber. Ils sont extraits, pour le premier texte, de l’essai sur L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme publié en deux parties dans la revue allemande « Archive pour les sciences sociales et la politique sociale » en 1904 et 1905, et extrait, pour le second texte, d’une étude posthume publié en 1923 et intitulée Histoire économique générale. Le capitalisme et le protestantisme sont deux notions familières pour Weber.


Né en 1864 à Erfurt, en Allemagne, dans une famille d’industriels protestants cultivés, le jeune Max sera marqué par sa mère, Helene Fallenstein, calviniste, et surtout par sa tante, Ida Fallenstein. Peu après l’obtention de son doctorat en 1889, Weber, afin d’allier activité intellectuelle et professionnelle, s’impose une vie austère, stricte et ordonnée. Collaborateur pour plusieurs revues économiques, il commence à être connu après 1896 lorsqu’il devient professeur d’économie à Heidelberg. Atteint d’une grave dépression nerveuse à la mort de son père, il démissionne de sa chaire d’économie en 1903. Date importante car elle marque un tournant dans la vie de Max Weber puisque c’est à cette époque qu’il s’intéresse sérieusement à la sociologie. En 1910, il fonde avec Tönnies et Simmel la Société allemande de sociologie et côtoie, à Heidelberg, des sociologues (Tönnies et Simmel) et des philosophes (dont Rickert, qui eut une grande influence sur Weber comme Raymond Aron l'a souligné dans La sociologie allemande contemporaine). Proche des milieux nationalistes entre 1893 et 1899, il s’en détournera définitivement pendant la guerre, choqué de la tournure prise par les évènements. Après une brève période d’intensité politique en 1918 pendant laquelle il s’investit pour mettre en place la République de Weimar (il fait partie des fondateurs du Parti démocrate allemand), il intègre, en 1919, la chaire de sociologie créée à Munich. Durant la guerre, il entreprend la publication de ses ouvrages de sociologie religieuse. Mort en juin 1920 d’une pneumonie, il n’eut pas le temps de publier son œuvre majeure, Economie et société qui paraît à titre posthume en 1922.


En tant que sociologue, sa démarche consiste à expliquer un phénomène social, le capitalisme en l’occurrence, comme découlant de diverses actions, tels que l’épargne ou le travail ; phénomène social motivé par un système de valeurs et de croyance, l’éthique protestante. Sa démarche est dite « compréhensive ». Selon Weber, le protestantisme serait à l’origine du capitalisme moderne. Une problématique, certes assez large, mais qui englobe à mon sens la logique des deux textes, peut être posée : comment l’esprit du capitalisme s’est-il développé en Europe ? Nous allons nous interroger, pour donner une réponse, sur la naissance, le fonctionnement et l’évolution du capitalisme moderne, et tout cela au travers du protestantisme. Nous aborderons la rupture avec le Catholicisme qui marque la naissance « officielle » du Protestantisme, puis nous montrerons par quels changements l’esprit capitalisme est peu à peu apparu et comment il s’est transformé pour devenir ce qu’il est à l’époque de Weber, et, dans une moindre mesure, à la nôtre.

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2 avril 2011 6 02 /04 /avril /2011 18:37

 

Pour Berger et Luckmann le monde dans lequel nous vivons est le produit de l'activité humaine. Au centre de leur étude l'analyse du monde de la vie quotidienne. Un monde qui apparaît comme :

      • certain : je peux difficilement douter de sa réalité

      • sensé : je comprends ce qui s'y passe

      • intersubjectif : je le partage avec d'autre

La sociabilité joue un rôle important. Connaître le monde dans lequel nous sommes permet de prévoir les comportements des individus.

Il est conseillé, par exemple, de se renseigner sur les habitudes des habitants d'un pays étranger dans lequel nous allons en vacances.

Berger et Luckmann expliquent que le langage est le moyen le plus efficace pour partager et transmettre ses comportements, ses habitudes.

La vie quotidienne est marqué par la « routine », c'est-à-dire la perpétuation d'un système de représentation dans le temps.

Faire la même chose tout les jours c'est ce que nous pouvons appeler la routine quotidienne.

Berger et Luckmann parlent d'institutionnalisation. Par le langage, nous mettons des mots sur nos pratiques.

Ainsi, si nos habitudes changes, les mots pour les désigner évoluent et certains termes disparaissent au profit d'autres.

Les proverbes, quant à eux, remontent parfois à la nuit des temps. Ils fournissent une explication générale du monde.

Le fait de généraliser une situation c'est prendre conscience qu'elle touche toute la société : on doit se laver les mains après être allé dehors.

Le « on » se substitue au « je » dans le langage courant pour désigner un collectif et permet de considérer certaines règles comme appartenant au groupe.

En revanche, utiliser le « je » peut désigner une implication personnelle dans une situation peu conventionnelle ou ne mettant pas en jeu le collectif.   

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25 mars 2011 5 25 /03 /mars /2011 17:33

Maurice Halbwachs, né à Reims en 1877, fut l'élève de Bergson et, influencé par Lucien Herr, il devint socialiste. Grâce à Simiand, il entre à l'Année sociologique.Il a ensuite soutenu une thèse de droit, Les expropriations et le prix des terrains à Paris (1909), et une thèse de lettre, La classe ouvrière et les niveaux de vie(1912). Cette dernière est publiée l'année suivant et Halbwachs obtint une chaire à l'université de Strasbourg en 1919.

 

1) Au fondement de sa pensée

 

Dans sa thèse de lettres il s'intéresse à la notion de classe sociale. Il reprend une conception de la causalité préconisée par Simiand et affine son point de vue en effaçant le temps historique, en agençant des espaces et en prenant compte de la singularité. Il attribue des représentations collectives à la classe ouvrière. Halbwachs portait aussiun intérêt particulier à lastatistique et aux mathématiques ainsi qu'àl'usage qu'ilest possible d'en faire en sociologie. Ce sont des instruments pouvant servir son approche scientifique mais de manière fort limité. En effet, elles établissent des faits que le sociologue est dans l'obligation d'interpréter et d'expliquer. Sa position vis-à-vis de la statistique est donc ambivalente puisqu'il souhaite faire appel à elle pour étudier les faits sociaux sans pour autant réduire ceux-ci à de simple collections d'évènements ou de comportements.

 

2)Le débat entre Halbwachs et Blondel.

 

a. Un parcours en parallèle.

 

Ce qui fonde aussi sa sociologie et son originalité ce sont ses travaux sur la mémoire. Sur ce point, il va avoir un débat avec le psychologue Charles Blondel pour qui Lucien Febvre vouait une certaine admiration. Ledébat portait sur le rapport entre individu et société. Les deux hommes appartiennent à la même génération. En effet, Blondel est né en 1876. Ils aussi les mêmes références et ont été tout deux influencés par Durkheim et Bergson. Normaliens et agrégés tout deux, ils ont été professeurs très tôt et dans les classes de lycée. Tout deux sont nommés professeurs à Strasbourg en 1919. Ensuite, ils seront collègues à la Sorbonne jusqu'à la mort de Blondel en 1939. C'est en 1925 que paraît un des ouvrages les plus connu de Maurice Halbwachs, c'est-à-dire Les cadres sociaux de la mémoire.

 

b. Qu'est-ce qu'un individu ?

 

Le résultat du débat permet en partie de répondre à la question : qu'est-ce qu'un individu ? Ils partent de l'idée que l'individu n'est pas une personnalité résultat d'une histoire et dont le futur serait tracé par avance. Ils ont donc dépassé le stade du déterminisme et de l'évolutionnisme. Or, il apparaît que la réflexion de Blondel n'a pas trouvé de successeur après guerre alors que Halbwachs, pourtant critiqué, aura en fait une grande influence. Aujourd'hui c'est encore un penseur qu'il est impossible de méconnaître lorsque l'on prétend faire de la sociologie. Du moins, il a une place plus que fondamentale dans l'histoire complexe et naissante de la discipline.

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18 mars 2011 5 18 /03 /mars /2011 19:33

La crise dans les banlieues d'octobre 2005 à janvier 2006 a surpris par la violence de la réaction gouvernementale (police déployée, couvre-feu instauré...) m'ouvrant les yeux sur une réalité bien plus complexe que l'on ne croit. Impliqué dans la lutte contre le contrat premier embauche (printemps 2006) et dernièrement contre la réforme retraites (automne 2010) j'écrivais sur mon blog une série d'articles sur le “malaise” des jeunes. Je me demandais notamment pourquoi les jeunes lycéens ont saccagés un couloir de l'université sans aucune considération en hurlant des slogans contre notre président de la république. Le lien avec les banlieues peut paraître surprenant alors qu'il n'a rien d'anodin. En effet, en 2005 ce sont des “jeunes” qui ont été à l'origine des émeutes (deux d'entres eux tués dans un transformateur électrique et les autres qui se révoltent contre la police). Il n'y aurait donc pas de ghettos en France comme il n'y aurait pas de pauvres disait sans honte un Balkany il y a quelques années. Et pourtant, Didier Lapeyronnie, tout en réfutant une sricte ressemblance avec les ghettos américains, c'est-à-dire comme le pense Robert Castel un territoire ethniquement homogène et vivant en quasi-autarcie, pense qu'il est le résultat d'un processus en réponse à une situation sociale, raciale et sexuelle. Il y aurait même un paradoxe du ghetto urbain, à la fois subie et à la fois choisie, à la fois une “cage” et un “cocon”. L'appartenance sociale, ethnique et de genre font du ghetto une juxtaposition de mondes articulés entre eux.

 

Si l'on en crois Lapeyronnie c'est dans les années 80 que la question des banlieues est devenue “médiatique”. Dans son étude, il essaie de repérer et de comprendre les mécanismes permettant la formation du “ghetto” dans les banlieues françaises de ce début de XXIe siècle. Pour lui les problèmes demeurent ainsi que les tensions sociales et raciales. Les médias n'aident d'ailleurs pas à clarifier une réalité sociale des plus complexe à comprendre pour un étudiant havrais résidant dans la paisible ville côtière qu'est Fécamp. Didier Lapeyronnie, avec les exemples de l'émeute des Minguettes en 1981, celle du Mas du Taureau en 1990 et celle du Mirail en 1998, distingue trois phases qui conïncide avec l'évolution de la société française. Ainsi, dans les années 80, la première phase va de paire avec “la fin du monde ouvrier, de ses protections et formes d'organisations” (p.5) mais aussi, comme le montre François Dubet dans La Galère, jeune en survie, de ses capacités politiques, nous assistons à un “retour des classes dangereuses” marquées par la “galère”. Dans le tournant des années 90, ce sont les “violences urbaines” qui s'accentue en même temps que se met en place la période des “classes moyennes paupérisées”. Le vide politique et la subite croissance économique va engendrer des frustations et la constitution d'une “culture jeune” plus ou moins déviante. De fait, depuis une dizaine d'années, nous assistons à la “fermeture” des quartiers populaires de moins en moins ouvert vers l'extérieur. L'autarcie n'est bien sûr pas un phénomène généralisé mais les trafics et les économies souterraines se sont multipliés. La vie associatives, très forte dans les années 80 a connue un recul conséquent. Lapeyronnie en conclu que “la réalité d'une certaine “ghettoïsation” semble s'être imposée dans bien des endroits” (p.5).

 

Dans les villes de provinces, le phénomène de ghettoïsation est plus fort et il est souvent synonyme de ségrégation. Un ghetto urbain, pour Lapeyronnie, c'est, entre autre, l'impossibilité de se déplacer, parfois le sexisme dû a une (re)construction de la vie sociale par les habitants des banlieues sur des valeurs traditionnelles, la pauvreté enfin avec la mise en place d'un système politique “informel”. Son objectif, nous dit-il, est de repérer et comprendre les mécanismes de ce phénomène. Qu'est-ce qu'un ghetto ? Pourquoi le “ghetto” ? Le terme, en France, est polémique. Didier Lapeyronnie parle “d'aveuglement”, dénonce “le faire semblant de ne pas savoir”. Or, il est possible d'adopter une définition plus souple de la notion de “ghetto”. De ce fait, on ne se demande plus pourquoi il y a des différence entre les banlieues et les ghettos américains mais pourquoi les similitudes. Lapeyronnie se pose la question (§2, p.6). Pour y répondre, il emprunte la définition au livre de Kenneth Clark, Ghetto noir. Le ghetto désigne une population qui est reléguée de manière plus ou moins forcée, pour des raisons qui sont indissociablement des raisons raciales et sociales. Le ghetto est donc un ensemble de conduites sociales qui relèvent de la relégation externe et de la construction interne.

 

Plusieurs conséquences sont à tirés du phénomène de ghéttoïsation. Tout d'abord, il engendre de la méfiance des habitants des banlieues à l'égard de la société. Ensuite, il accenture les violences urbaines entre les jeunes et entre les jeunes et les forces de l'ordre. Enfin, il renforce le racisme et le sexisme. La pauvreté, explique Lapeyronnie, rend invisible, c'est-à-dire qu'elle donne l'impression d'une absence d'avenir et d'un enfermement urbain. D'ailleurs, les habitants des banlieues ne se définissent pas comme pauvres voulant être considérés comme étant “dans” la société. En ce sens, Lapeyronnie s'oppose à Loïc Wacquant qui voit le “ghetto” comme une fatalité. Toutefois, le sentiment de rejet est présent et s'explique par la nostalgie d'un passé où vie sociale et vie morale pouvait correspondre. Une perte des repères ? L'image du ghetto, du quartier, est quelque chose d'important et qu'il faut préserver. De fait, il y a de fortes différences entre l'intérieur du ghetto et l'extérieur. Souvent, dans une ville, le ghetto est le quartier qui a une mauvaise réputation, que les médias stigmatises. Wacquant parle de cela, comparant le ghetto à une prison. Cet aspect négatif du ghetto, cette perception de l'extérieur, fait parler de “région morale” par Lapeyronnie.

 

Dans le ghetto, la famille et la rue sont deux aspects essentiels et important pour comprendre la réalité sociale du lieu. Bourdieu en parle fort bien. Un lieu produit un effet. Un lieu renvoie à des représentations, renvoie à des réalités sociales qui vont changer au cours du temps, certes, mais qui vont marquer l'histoire de ce lieu. La famille, l'unité de base de la vie dans le ghetto, est portée par la tradition, par cette tendance à l'éloignement qui lui font penser à une menace venue de la société. Pour se prémunir de cette mauvaise image, les familles vont tenir à préserver leur propre image au sein du ghetto. Est-ce une question d'honneur familial ? Les “bandes” de jeunes garçons appartiennent à ce monde complexe du ghetto. L'attachement à un groupe est nécessaire pour “survivre” pour se sentir exister. C'est une réaction que je trouve personnellement très humaine. Finalement, contrairement aux idées reçues, il n'y aurait pas d'opposition entre les familles et la rue. Il y a même une certaine interconnection. Bref, ce que cherche ces jeunes c'est une reconnaissance, un statut à part entière. Pour analyser, pour comprendre tout cela, Lapeyronnie explique qu'il existe même une morale spécifique, des valeurs propres au ghetto. Cette logique morale porte les normes “honneur” et “réputation”. Les jeunes attachent de l'importance à la réputation du quartier même si parfois il ne comprennent pas l'acharnement de la police à les provoquer où qu'ils souffrent de ne pouvoir aller à la piscine du coin parce qu'elle n'est pas dans leur quartier. La réalité sur le terrain est terriblement plus compliqué qu'on ne le pense au premier abord.

 

L'agression des jeune sur quelqu'un d'autre rentre dans cette logique. Quelqu'un qui n'appartient pas au ghetto, qui se montrerait “immoral”, sera chassé et il sera parfois battu. En fait, c'est un univers social fondé sur des liens forts entres les personnes. L'occupation des cages d'escaliers, emblématique des banlieues, image connu de tous, a pour but de sécuriser le ghetto et de régler les conflits internes ou externes en surveillant les alentours. Bref, la vie du quartier semble se fondée sur les embrouilles entre individus, implicant parfois des “guerres” entre deux ou plusieurs familles. Lapeyronnie pense que le racisme est central. Il y a un blocage culturel et social et l'idée de ne pas être comme les autres est très présente. La mise en place de mécanismes de ségrégation et de discrimination semble se mettre “naturellement” en place. Le rapport entre les hommes et les femmes est terriblement archaïque. Lapeyronnie parle du paradoxe de la féminité : les relations de genre sont moralement acceptable ou non acceptable. La vie sociale s'organise autour du sexe et de la race. Peut-on soulever la question de l'altruisme ? L'importance du rôle social masculin est incontestable avec la mise en avant de la virilité et d'un rôle paternel plus traditionnel que novateur. Bref, il y a un étroit contrôle des femmes et toute les affaires de viols collectif ou de “punition” relève de cette logique.

 

Pour conclure, disons que le ghetto est dotté de règles propres, qu'il n'y a pas d'unification politique, économique et social et que c'est univers remplies de stéréotypes.

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21 février 2011 1 21 /02 /février /2011 17:57

Les manifestations des italiennes dans les rues du pays contre les pratiques du vieux pervers Silvio Berlusconni, ont (re)posés la question de la place des femmes dans la société, mais aussi du rôle que les hommes leur attribue, revient sur le devant de la scène. Nous sommes en 2011 et on constate que, si un “ras le bol” des femmes commencent à se faire sérieusement sentir, c'est parce que des hommes ont encore une mentalité plus proche du caillou que de l'être humain, cet animal parfait doué d'intelligence et de raison.

 

Mesdames, vous avez donc un sérieux travail à faire pour faire respecter vos droits. L'histoire des femmes et du genre, depuis une vingtaine d'années, a pris un essor tout particulier en Sciences humaines et sociales. Cela montre bien un changement, mais il reste celui d'une élite et, malheureusement, beaucoup d'hommes sont encore imprégnés d'une vision de domination inconsciente et d'une vision stéréotype de ce qu'est une femme et de ce qu'est un homme. De fait, si de nombreux “machos” se sont rangés en ne sortant leur réflexions vaseuses qu'en dehors de la présence des femmes, et la plupart du temps de leur propre femme, les mentalités n'ont guère évolués depuis un siècle.

 

Certes, me dira t-on, les femmes ont obtenues des avancées politiques et sociales importantes, comme le droit de vote, IVG... Mais cela n'influence pas les mentalités. Il reste que les idées reçues persistent, que les femmes restent “inférieures” pour de nombreuses personnes, sans que cela soit parfois conscient, ni même perceptible dans le discours. Moi-même ne suis certainement pas exempt de ses représentations malgré mon attachement à défendre l'égalité juridique, politique et sociale entre les hommes et les femmes. Pourquoi serais-ce un problème pour un employeur qu'une femme soit enceinte ? Il n'y a pas de problème, il suffit de trouver un arrangement autre qu'une baisse de salaire ou une mise en temps partiels. En effet, pourquoi une telle inégalité alors que les hommes ne peuvent pas porter un enfant (alors qu'ils ont tout de même un peu participés à sa conception).

 

Comme le montre aussi l'affaire Berlusconni, accusé d'avoir eu des rapports avec une mineure prostituée, l'idée véhiculée est la pire de toute : celle de la femme comme objet sexuel et marchand. Bref, c'est le cliché qui voit dans l'homme un être intéressé uniquement par le rapport sexuel en soi. L'idée d'une hiérarchie des sexes est exposé par Bourdieu dans La domination masculine, affirmant que les femmes consentent à cette domination symbolique. De plus, il explique que l'accès aux même droits que les hommes renforcent cette situation de domination car elle devient plus acceptable (du fait même de l'égalisation des conditions). Simmel, dans Philosophie de la modernité, affirme que la femme est par essence différente de l'homme et que cette différence est indépendante du rôle social qu'elles peuvent jouer.

 

L’opposition de l’homme et de la femme est avant tout biologique. Nous vivons dans une société où les valeurs communément admises sont des valeurs masculines. Nous manquons de moyens pour penser l’essence de la femme explique Simmel, ce qui l’a fait être femme et fait qu'elle ne pourra jamais être un homme. Celui-ci, quant à lui, a pris le rôle dominant dans nos sociétés, soit effectif, soit symbolique. Bourdieu montre bien que cette domination est acceptée, consentie, voir même demandée par les femmes. Pourquoi ? Il ne répond pas à la question. Simmel, un siècle avant Bourdieu, propose une vision des choses beaucoup plus subtile.

 

Pour décrire la place de la femme dans la société (nous sommes au début du XXe siècle) Simmel esplique qu'elle ressent son état d’infériorité, de manière consciente ou inconsciente, mais qu'elle le ressent. De fait, elle donc n'a pas une place sociale définie, mais elle aspire à en trouver une. C'est toute la difficulté. Ce n'est pas comme si la place de la femme était “juridiquement” définie comme c'est le cas dans certains pays appliquant la charia. La femme sait qu’elle est différente (et pas uniquement sur le plan physiologique) et donc, en sachant cela, elle va chercher à être reconnue comme telle, c’est-à-dire comme une femme. Or, qu'est-ce que c'est être une femme ? Il est bien difficile pour un homme de répondre à une pareille question.

 

Simmel en donne une explication plus psychologique que sociologique ce qui, il est vrai, est assez séduisant au premier abord. “Alors que la sexualité biologique est pour l’homme surtout concentré dans l’acte sexuel, au contraire la féminité est pour la femme relativement indifférente à la relation sexuelle avec l’homme. (...) La femme est et se sent femme sans que cela implique nullement qu’elle soit disposée à recevoir les hommages sexuels de tous les mâles qui la désirent.” – Vieillard-Baron, 2004. On retrouve ici se soucis, purement masculin, d'affirmation de sa virilité, de sa capacité à assurer la descendance... Bref, c'est une préoccuparion bien plus proche de l'état d'animalité – de l'instinct de reproduction (biologique et sociale) – que de celle de l'être humain idéalisé par l'humanisme du XVIe siècle. En effet, Simmel pense que l’homme voit la femme comme étant incapable de faire la différence entre ce qui est superficiel et ce qui est essentiel.

 

En réalité, pour la femme, rien n’est superficiel, ce qui n’implique pas non plus que tout soit essentiel. Le quotidien est ainsi vécu comme très important. Simmel reconnaît le caractère unitaire et spécifique propre à la femme. La « pure sensualité » de la femme s’oppose à « l’esprit d’analyse » de l’homme. L’homme est beaucoup plus formaliste que la femme. Il attache plus d’importance aux « formes sociales » que la femme. La vision est un peu schématique et relève encore de cet esprit d'analyse masculin en affirmant que la femme se caractérise par son côté sensuel. Finalement, l’être de la femme est plus intérieur, plus intime, et, dès lors, l’extériorisation est source de problèmes (pour elle-même, mais aussi par le rapport aux autres et par le rapport à la société qu’elle implique). L’homme en revanche est expansif, se livre plus facilement, le plus souvent sans s'en rendre compte, et donc, dès lors, l’intériorisation est également source de problèmes (avec lui-même, mais aussi source d’inquiétude pour les autres).

 

La femme a du mal a extérioriser ses sentiments et l'homme est en conflit avec lui-même en permanence. L'homme et la femme complémentaire ? De la vision que Berlusconi a de la femme a celle d'une complémentarité “naturelle”, psychologique, nous avons fait du chemin. Or, cette vision c'est un dualisme et nous savons les dangers d'une telle vision. Il faut nuancer. Pour cela il faut une troisième vision des choses. Peut-on en voir les prémisces dans les certaines pratiques masculines consistant à se travestir pour le “fun” ? Ces pratiques sont-elles un retournement de situation ou une manière de se rassurer en sigeant une façon d'être qu'ils peuvent de plus en plus difficilement afficher publiquement ?

 

La femme souffrirait moins de la solitude par ce qu’elle est bien chez elle, avec elle-même, ce qui expliquerait qu’elle se suicide moins que l’homme comme le montreDurkheim dans Le suicide. L’homme, en revanche, souffre davantage de la solitude. Le confort de son toit l’oblige souvent à se replier sur lui-même, et donc cela créé des problèmes, des tensions. Bref, cela génère du conflit, alors que pour la femme, l’« être-femme », et la vie en générale, ne font qu’un. Le génie créateur, comme l’appel Simmel, c’est cette capacité de vivre en étant soi-même et non en essayant d’être quelqu’un ou quelque chose d’autre. L’homme cherche sans cesse à prouver tout ce qu’il dit et tout ce qu’il fait. Cela en partie parce que les femmes le demande. On observe tout le paradoxe et la complexité de cette relation entre l'homme et la femme, de ce conditionnement social.

 

Souvent, et dans le cas de l'affaire Berlusconi cela joue un rôle, on note une attirance des hommes ayant la cinquantaine pour des jeunes femmes – parfois vraiment très jeune – pour se rassurer le plus souvent. Il est en effet rassurant de pouvoir s'afficher avec une “jeune beauté” de vingt ans quant on en a soixante. Dans le cas de Berlusconi la chose est encore plus sordide. Il suffit de jetter un coup d'oeil sur ce qu'écrit Simmel sur la beauté féminine pour être frappé du contraste.

 

La beauté féminine, telle que la décrit Simmel, n’est pas seulement esthétique, mais c’est l’harmonie, tant intérieure qu’extérieure. C’est la mise en forme de l’existence qui est importante, voir primordiale. Pourtant, l’attitude de certaines jeunes filles aujourd’hui n’est pas “naturelle” si l'on accepte cette position. S’habiller en affichant non plus cette “pure sensualité” dont parle Simmel, mais en ramenant la femme à un objet sexuel, ce n’est pas cela “être-femme”. Le chemin est donc encore long vers une libération de la femme sur le plan social, juridique, politique et aussi sexuel, mais il convient de minimiser cette aspect-là car il n'est pas le plus important aux yeux des femmes (même si elles attachent de l'importance à la relation amoureuse bien sûr). Il apparaît évident que l'homme sera bien plus jaloux que la femme mais celle-ci aura souvent plus de mal lors d'une rupture si ce n'est pas elle qui l'a décidée.

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  • : Ce blog a été créé par un étudiant en histoire et sociologie de l'Université du Havre. Il propose des articles allant du travail universitaire (exposé, compte-rendu...) à l'analyse spontanée de l'actualité... Il est donc à la fois objectif et subjectif, partial et impartial, méritant la plus grande prudence concernant les analyses de l'actualité notamment car elles sont parfois politiquement orientées.
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