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Introduction

 

Gustave Le Bon, en 1912, écrivait dans La Révolution française et la Psychologie des Révolutions que « chacun sentait, y compris les Directeurs, que le régime républicain ne pouvait plus durer » (p.166). La vision de Le Bon, tardive, montre bien l'état d'esprit du moment, mais nullement la réalité, surtout lorsqu'il écrit, parlant du coup d'État, que « son exécution, le 18 brumaire, s'accomplit avec une extrême facilité » (p.168) Il convient donc de nuancer cette vision de l'évènement de brumaire. En 2007, dans son essai Aux armes historiens, Éric Hobsbawm est critique envers le Directoire, expliquant que le « régime a manqué d'un soutien politique ou de la capacité à restaurer les conditions de stabilité » (p.17). Il ajoute que ce régime « fut remplacé le 18 brumaire par une dictature militaire à peine camouflée, résultat du coup d'État d'un jeune militaire victorieux, Napoléon Bonaparte. » (p.17)

Cette curieuse approche du coup d'État met en avant la décomposition d'un régime impopulaire et inefficace afin de montrer l'arrivée au pouvoir de Bonaparte comme étant inévitable. Or, sait-on comment se sont déroulées réellement les journées de brumaire ? Sait-on qu'au lieu d'un seul coup d'État nous pouvons aisément parler des « coups d'État » de brumaire ? Avant d'entrer dans le récit de ses journées de brumaire, replaçons assez vite le contexte politique et militaire. L'instabilité du régime était alors apparente, avec une forte poussée jacobine aux élections de l'an VII. Ajoutons à cela la reprise de la pression des « bandes » royalistes dans le Sud-Ouest et nous comprenons pourquoi les contemporains ont vu dans le Directoire un régime incapable de rétablir l'ordre. Thierry Lentz, dans Le 18 brumaire,en 2010, explique bien que « cette guérilla allait culminé à l'été [1799] » (p.157), ajoutant que « sur le plan militaire, la deuxième coalition ne cessait d'enregistrer des succès » (p.157).

L'opinion générale, comme le note un rapport du Directoire, est que « tout se décompose ». Quant à Jean-Paul Bertaud, dans La Révolution française (2004), il nous dit que « les contemporains et, par la suite, les historiens accusent le régime d'engendrer et de perpétuer, avec l'instabilité et la banqueroute financière, le désordre à l'intérieur. » (p.313) Finalement, c'est Jacques-Olivier Boudon (2004) qui résume le mieux la situation en expliquant que « la France subit alors une grave crise politique. Les partis sont divisés. Tandis que les royalistes rêvent à la restauration de la monarchie, les jacobins, revigorés par leurs récent succès électoraux, souhaitent revenir sur le devant de la scène. » (p.43) L'impression générale est bien celle de l'instabilité du régime, mais aussi de l'insécurité intérieure. La diversité des point de vue concernant le contexte politique et militaire va accentuer la complexité des interprétations du coup d'État.

 

I. Le « paradoxe ».

 

La question du « paradoxe » est d'une importance cruciale pour comprendre la portée des évènements de brumaire en se demandant si nous pouvons placer le coup d'État dans la « continuité » ou dans la « rupture » de la Ière République. Le 18 brumaire est placé dans la « continuité » de la République, incarné par le coup d'État parlementaire alors que, en revanche, le 19 est davantage perçue comme une journée de « rupture ». François Furet percevait d'ailleurs le 18 brumaire comme un inévitable produit d'une situation inscrit dans le discrédit où était tombé le Directoire et comme une intrigue conduite par deux hommes associés par les circonstances pendant ces quelques semaines de l'automne 1799.

 

1/La « continuité »

 

Je commencerais cette journée par son récit, puis je tenterais d'apporter quelques point d'analyse, notamment concernant la question de la légalité constitutionnelle de la journée du 18. Le 18, donc, les députés du Conseil des Anciens se réunissent à Paris. Ils sont favorables à la révision de la Constitution. Un «complot des terroristes»(royalistes) est alors invoqué afin de convaincre les députés du conseil des Anciens de se transporter, avec les députés du Conseil des Cinq-Cents, au château de Saint-Cloud, à l'ouest de la capitale. Le commandement de la garde de Paris est alors confiée au général Bonaparte. L'objectif est d'éloigner de Paris les députés afin d'éviter un soulèvement de la capitale. Trois des cinq Directeurs, c'est-à-dire Sieyès, Barras et Ducos, démissionnent. Les deux autres, Gohier et Moulin, suspectés de sympathies jacobines, sont destitués et même arrêtés. Curieusement, la journée du 18 ne fit pas l'objet d'une abondante iconographie puisque je n'ai trouvé aucune gravure ou caricature représentant avec certitude ce moment. Dans son livre sur La Révolution, Quinet (1803-1875) écrivit : « Le 18 brumaire avait été tout à la ruse ; ce fut une œuvre de nuit. »

En effet, comme le décrit Jean Tulard dans son Napoléon (1987) « dans la nuit du 8 au 9 novembre des dispositions militaires sont prises, des proclamations envoyées à l'imprimerie de Demonville, des convocations adressées aux membres du conseil des Anciens. C'est ce Conseil, qui, constitutionnellement, détermine le lieu où siègera le Corps Législatif ; de plus, il compte en son sein, à l'inverse des Cinq-Cents, une forte faction favorable à Sieyès. » (p.23) La Constitution à laquelle se réfère ici Jean Tulard, est celle de 1795. Selon l'article 101 de la Constitution, il est tout à fait légal. Il suffit de pouvoir prévoir des troubles pour que cela constitue un motif de déplacement du Corps législatif. Bonaparte est nommé commandant des troupes de Paris et chargé du transfert du Corps législatif à Saint-Cloud. Son article 102 stipule, je cite : « Le Conseil des Anciens peut changer la résidence du Corps Législatif, il indique, en ce cas, un nouveau lieu et l'époque à laquelle les deux Conseils sont tenus de s'y rendre. – Le décret du Conseil des Anciens sur cet objet est irrévocable ». Dans les faits, la journée du 18 est en apparence tout à fait légal. Toutefois, dès le 18, des troupes sont présentes aux abords du château de Saint-Cloud afin, officiellement, d'assurer la protection des députés. Or, l'article 69 de la Constitution stipule : « Le Directoire exécutif ne peut faire passer ou stationner aucun corps de troupes dans la distance de six myriamètres (douze lieues moyennes) de la commune où le Corps Législatif tient ses séances, si ce n'est sur réquisition ou avec son autorisation ». Celle-ci ne semble pas avoir été explicitement et officiellement formulée.

Pour illustrer l'idée de continuité prenons cette remarque de l'historien Jacques-Olivier Boudon qui nous explique que « sur le moment, ces atteintes au principe constitutionnel ne provoquent guère de réaction. Les Français ont pris l'habitude des revirements politiques dans le pays et le Consulat naît dans une certaine indifférence. » (p.44) Natalie Petiteau arrive au même constat, montrant que « la première réaction a été de se réjouir de la chute du Directoire bien plus que l'évènement d'un nouveau régime ». Il est curieux justement que dans l'opinion publique française, malgré quelques visionnaires comme le fut Benjamin Constant, personnes n'ait vraiment perçut l'importance de la journée du 19.

 

2/La « rupture »

 

Le 19, donc, la troupe encercle le château de Saint-Cloud. Les élus des Cinq-Cents, réunis dans la salle de l'Orangerie, refusent de modifier la Constitution. Bonaparte, après avoir prononcé un discours relativement mauvais devant les Anciens, tente de faire la même chose devant les Cinq-Cents. Seulement, il est accueilli par des huées et les cris : «À bas le dictateur !» Il aurait alors étébousculé par les députés et même menacé d'arrestation. il aurait eut un moment de faiblesse, mais les soldats qui l'accompagnait l'emmènent dehors. Lucien Bonaparte, président des Cinq-Cents, sort à son tour et va voir le général de la troupe stationné devant le château, Joachim Murat. Murat ne s'embarrasse pas de bonnes manières. Il aurait prononcé cet ordre fameux : «Foutez-moi tout ce monde-là dehors ».Les députés sautent par les fenêtres dès l'arrivée des soldats dans l'enceinte de l'assemblée et se dispersent dans le parc.

 

Le tableau de François Bouchot

C'est un tableau qui a été exposé au Salon de 1840, l'année du retour des cendres de l'Empereur. C'est une commande passée par Louis-Philippe en 1838 pour garnir la galerie historique du musée de Versailles. La légende napoléonienne était un argument fort de la propagande de la Monarchie de Juillet afin de légitimer – a posteriori – le changement de dynastie. Bonaparte est ici présenté comme l'incarnation de l'ordre face aux Cinq-Cents, symbole du désordre législatif. Le parti pris du peintre est clairement favorable à l'acteur central qu'est Bonaparte. D'ailleurs le tableau est souvent intitulée Le Dix-huit brumaire alors que la scène se passe le 19. Ici, elle se situe dans l'Orangerie du château de Saint-Cloud. On aperçoit, sur la tribune, Lucien Bonaparte qui semble regarder l'horizon, assez peu sûr de lui. Tout à gauche, émerge trois baïonnettes qui rappellent le coup de force des militaires. Bonaparte, escorté par quelques soldats – des grenadiers semble t-il – est au milieu de députés hostiles qui lancent : « À bas le dictateur ! À bas le tyran ! Hors la loi ! » Le désordre, malgré le calme apparent de Bonaparte, est représenté par l'agitation des députés et la chaise renversée. Bouchot essaie d'exprimer la fluidité avec la lumière qui semble baigner l'ensemble de la scène, la rendant plus apaisée qu'elle ne fut en réalité.

 

Concernant cette journée, Stendhal, dans son Napoléon (1818), nous explique que « la gloire de cette grande révolution est restée au président du Conseil des Cinq-Cents qui monta à la tribune une forme de courage au moment où son frère faiblissait. Il eut la plus grande influence dans la Constitution que l'on bâtit à la hâte. » (chapitre 18) Même dans ses Mémoires, Bonaparte devenu Napoléon, minimise le rôle de son frère en ce jour de gloire. La maladresse du général, sa perte de contenance ne paraît pas dans les tableaux les plus connu, comme celui de Bouchot que je viens de décrire. Ainsi, les idées reçues que nous avons du 19, c'est le mythe des poignards et la force de caractère de Bonaparte, qui, comme il se plaît à le dire dans ses Mémoires, n'a eu qu'à se présenter devant les députés pour faire infléchir les choses en sa faveur. En réalité, certainement pas. « Il suffit (...) que Lucien, président du Conseil des Cinq-Cents, s'interpose pour que la position mal engagée de son frère soit retournée à son avantage » (p.46)

 

Le tableau de Jacques Sablet

Jacques Sablet (1749-1803) a représenté l’évènement alors qu’il touche à sa fin. Les députés des deux Conseils ont été rappelés dans la nuit. Ils pénètrent dans la salle de l’Orangerie sous la surveillance des militaires de Leclerc et de Murat. Les deux généraux se tiennent au centre de la salle. À leur côtés nous avons les trois consuls « provisoires ». Ils attendent que les pouvoirs leur soient remis. Les députés semble former des groupes et commenter le discours que Lucien prononce à la tribune. L’éclairage rudimentaire et la nudité du lieu dénotent le caractère improvisé de l’évènement. Seule la silhouette noire de Lucien émerge clairement à droite de cette composition. L'illustration de Jacques Sablet semble être la plus réaliste, car la mieux documentée. Le peintre était proche du clan Bonaparte grâce à son protecteur François Cacault qui était un membre des Cinq-Cents rallié à Napoléon. Le cardinal Fesh et Lucien sont même devenus ses clients. Si Sablet n'a peut-être pas été le témoin de la soirée, il ne fait aucun doute qu'il a vécu les journées de brumaire de très près. De fait son tableau n’a rien de commun avec les images contemporaines relayant l’épisode des poignards – auxquels le « sauveur de la France » aurait été exposé dans la soirée – inventé après coup par Lucien pour les besoins de la propagande – il s’agissait de rendre héroïque un moment qui l’avait été bien peu. Le peintre fait au contraire du jeune législateur, Lucien Bonaparte, qui a alors vingt-cinq ans, l’acteur principal de la soirée, celui qui a négocié le Consulat « provisoire » après avoir séduit par son éloquence une assemblée quelque peu ennuyée car de toute façon sous pression de l'armée. On comprend que la gravure ait été dérangeante pour le général Napoléon Bonaparte, puis pour le Premier Consul Bonaparte. En effet, Lucien est trop brillant, trop populaire et trop républicain pour plaire à son frère.

 

D'après Bronislaw Baczo, Bonaparte place le coup d'État du 18 brumaire dans la continuité de cette fin du XVIIIe siècle dans laquelle s'inscrit la Révolution française. Bonaparte aurait donc fait preuve d'audace, le 19, en essayant de calmer les députés afin d'évité de faire des allusions marquées au passé monarchiste. Le texte votée le 19 au soir est la Loi du 19 brumaire an VIII. Son article 2 stipule : « Le Corps Législatif créé provisoirement une Commission consulaire exécutive, composée des citoyens Sieyès, Roger Ducos, ex-directeurs, et Bonaparte, général, qui porteront le nom de Consuls de la République française. » De plus, cette même journée du 20, tous les différents acteurs – députés, consuls – prête le serment qui suit : « Je jure fidélité à la République une et indivisible, à la liberté et à l'égalité et au système représentatif ». Le consulat provisoire est mis en place en attente de la rédaction d'une nouvelle constitution, en l'occurrence celle de l'an VIII, du 24 Frimaire, c'est-à-dire du 25 décembre 1799. Dans l'esprit, la « continuité » semblé être assurée. Pour les contemporains, ce n'est qu'un coup d'État comme les autres, une autre forme de la République, mais en aucun cas une « rupture », c'est-à-dire un changement de régime. Il suffit, pour s'en assurer, de constater la faible contestation des provinces. Toutefois, avant de tirer une conclusion sur la réception par l'opinion du coup d'État, nous allons revenir sur les deux principaux acteurs des journées de brumaire, à savoir Sieyès et Bonaparte. Nous l'avons vu, le coup d'état parlementaire est associée à Sieyès, celui militaire à Bonaparte. Qu'est-ce qui, dans l'évolution des deux hommes, entraîna certaines prise de position et cette « alliance » de circonstance le 18 brumaire ? Nous allons donc revenir dans la deuxième partie sur les conditions de la « rupture » entre Bonaparte et la République, mais également sur la « rupture » entre le général et Sieyès.

 

II. Les « coup d'États »

 

Nous avons vu le déroulement des journées des 18, 19 et 20 brumaire an VIII. Nous avons pu nous rendre compte d'une évolution perceptible, passant d'une armée certes là, mais ne servant qu'à faire « pression » sur les députés, puis nous l'avons vu jouer un rôle de premier plan le 19, chassant au dehors les députés des Cinq-Cents. La loi du 19, qui entre en application le lendemain, qui, en plus d'être un des trois consuls, en obtiendra le premier la présidence. Ainsi, nous assistons à un mouvement de bascule avec Bonaparte au second plan le 18 et Sieyès au second plan le 19. Je tenterais de vous montrer pourquoi nous pouvons parler des « coup d'États » de brumaire. Tout d'abord, l'homme du 18, c'est-à-dire Sieyès.

 

1/Le « révisionniste » et « sauveur »

 

Entré dans les ordres sans une véritable vocation religieuse, Sieyès, vicaire général à Chartres, s'intéressent très tôt aux questions sociales. Il est élu député du tiers état de Paris et accède à la notoriété avec une brochure de propagande révolutionnaire intitulée, Qu'est-ce que le tiers état ?, publiée en janvier 1789. Le 31 octobre 1795, Sieyès est nommé Directeur, mais il refuse le poste. Il siège aux Cinq-Cents et devient membre de l'Institut. Il soutient le coup d'État de Fructidor an V (septembre 1797) contre les royalistes. En 98, il est nommé ambassadeur à Berlin. Il revient l'année suivante et est de nouveau élu au poste de directeur en mai 1799. Cette fois, il accepte le poste. Cela s'effectue dans un contexte de guerre avec l'Angleterre, puis avec l'Autriche (mars 1799). De plus, en avril, la gauche est victorieuse aux élections. En juin, Treilhard est remplacé par Gohier pour siéger parmi les cinq directeurs. La Réveillière-Lépaux et Merlin démissionnent, remplacé par Roger Ducos et Moulin, aux tendance plutôt jacobines. Il a des contacts très influent dans les milieux savants de la capitale. Il côtoie Daunou, Boulay de la Meurthe, Marie-Joseph Chénier ou encore Roederer. Sieyès, c'est l'homme de 1789, le porteur des idées, d'une certaine philosophie de la Révolution. Sieyès reste assez favorable à un gouvernement représentatif et à un pouvoir constitutionnelle, complété par un aspect révolutionnaire. Sa conception d'une nouvelle Constitution n'est pas très claire, mais il y aurait un « Grand Électeur », sorte de magistrat suprême, ainsi que deux « consuls », chefs de l'exécutif, et enfin des individus choisit sur des « listes de notabilité » formeraient un corps inamovible.

« Sieyès veut [donc] changer la Constitution, ce qui ne peut peut se faire que par un coup d'État. Il désire remplacer le Directoire par un exécutif resserré formé de trois consuls. L'un d'eux doit-être un général auréolé de gloire. » (Napoléon Bonaparte, 2008) Il sait que pour réussir il ne peut pas se passer d'un « sabre », et donc, plus largement, de l'armée. Il aurait porté son choix d'abord sur Joubert, mais celui-ci est tué à la bataille de Novi, en Italie, en août 1799. Bernadotte est pressentie, mais laissé de côté au profit de Moreau, qui refuse, sans pour autant dénoncer le complot. Thierry Lentz explique que « avec le recul, la présence de Bonaparte dans la conspiration de Brumaire va de soi. Or, Sieyès a tout fait pour se passer du conquérant de l'Égypte à la personnalité trop affirmée et aux soutiens autrement plus importants que ceux dont bénéficiaient les autres « épées » possible. » (p.157-158) Sieyès reste un conventionnel, attaché à une idée de la Constitution et de la République. Certes, il veut « terminer » la Révolution, mais pas nécessairement la République. L'accent est mis, peu avant le coup d'État, sur la « peur » d'une restauration monarchique. Les bourgeois libéraux, souvent détenteur de « biens nationaux » veulent un régime fort leur garantissant les conquêtes, l'ordre, la propriété. Il faut donc un « sauveur » de la République. Ce « sauveur » est tout trouvé.

Bonaparte a une expérience révolutionnaire en Corse où il côtoie Paoli. Très vite, il va intégrer le cercle de Robespierre, puis, après Thermidor, sera finalement arrêté. Il est finalement relâché et se rapproche de Barras. En 1796, il est commandant en chef de l'armée d'Italie. Il va forger son mythe là bas. Il est ambitieux et influencé par une littérature classique qui en fait, incontestablement, un esprit du XVIIIe. Pour Furet, il serait dominé par deux choses : les intérêts et la grandeur de la nation. En effet, Bonaparte met en avant le héros soldat, et donc la gloire. Passionnés par la guerre, nous savons que Bonaparte écrivit un Précis de la guerre des Gaules. D'ailleurs, l'armée prend du galon puisque lors du coup d'État du 18 fructidor (1797), l'armée intervient contre les royalistes et ce sont des troupes commandées par Bonaparte qui interviennent. En juillet 1798, Bonaparte part pour l'Égypte, mais c'est un échec militaire qui s'ajoute à la mauvaise situation de Sieyès en France. Le 9 octobre 1799, c'est le retour de Bonaparte qui débarque à Fréjus. L'épisode est abondamment illustré par la caricature britannique. Toutefois, le général bénéficie de sa popularité et de ses réseaux parisiens, notamment grâce à ses frères Lucien et Joseph. Napoléon, lui, est dépositaire de la gloire de la nation, voyant plutôt la situation sous un angle politique, visant à la fois l'opinion publique et la manière de lui plaire. De plus, il sait s'adresser aux soldats et aux Français. Concernant ses vues politiques à proprement parlé, nous savons qu'il n'était n'était favorables aux royalistes, ni même aux Jacobins, même s'il n'hésita à s'appuyer sur eux, faisant valoir son amitié avec Robespierre le jeune comme marque de sympathie. Curieusement, les deux mouvances ont pensés voire en Bonaparte un nouveau soutient pour restaurer leur pouvoir.

 

2/« Continuité » ou « rupture »

 

Le 18, le plan fonctionne très bien. On annonce une grande conspiration anarchiste pour organiser le transfert des deux assemblées afin de protéger les députés d'une éventuelle agitation de la capitale. Les directeurs démissionnent, créant un vide du pouvoir exécutif. Le lendemain, 19, les députés étaient censé voter, certes sous la pression de la troupe, la réforme de la Constitution. Mais, il n'était pas prévu qu'ils soit réticent voir hostile, même si chacun des comploteurs avaient déjà prévu de fuir « au cas où », montrant bien par là que la victoire du coup d'État était loin d'être acquise. Toutefois, Bonaparte a su tirer profit de sa capacité à utiliser les proclamations et la presse, aidé par le journaliste Roederer qui soutiendra le coup d'État. Roederer (1754-1835) assurait la liaison avec Talleyrand entre Sieyès et Bonaparte. « Je suis charmé de faire votre connaissance, lui aurait dit Bonaparte lors d'un dîner, j'ai pris la mesure de votre talent en lisant un article que vous avez écrit contre moi il y a deux ans ». On voit bien comment Bonaparte se sert des journalistes pour sa propagande. En fait, Bonaparte détestait les journalistes et il prendra dès 1800, une sévère loi contre les journaux. D'après Natalie Petiteau, dès 1796, Le journal de Paris et Le Conservateur lui étaient favorables. Je vais vous montrer, en m'appuyant sur la proclamation de Bonaparte du 19 brumaire, comment il arrange l'histoire à sa sauce en quelque sorte, dès le coup d'État.

 

La proclamation de Bonaparte le 19 brumaire

Le texte de l’affiche raconte la séance du 19 brumaire au Conseil des Cinq- Cents. Le récit correspond pas tout à fait à celui raconté par Lucien Bonaparte. Celui-ci raconte que c’est lui, Lucien, président des Cinq-Cents, qui, pour résister à « la terreur de quelques représentants à « stylets » [noter l'apparition du mythe des poignards au passage] qui assiègent la tribune ». Il aurait réagit fortement aux menaces des députés hostiles à Bonaparte. Il serait sortit dehors et aurait appelé au secours l’armée, alors que son frère venait d'être évacué de la salle du conseil par ses hommes. Dans le récit de Bonaparte, les rôles sont inversés : c’est lui qui aurait sauvé Lucien en appelant à la rescousse ses braves grenadiers. Bonaparte fait figure de « sauveur », alors qu'il a failli faire échouer le complot en perdant son sang-froid devant une opposition inattendue.La justification donnée par Bonaparte au coup de force est simple. Le désordre régnait et tout le monde a fait appel à lui. De plus, menacé d’assassinat par des « factieux », donc des « terroristes », il est sauvé in extremis par l’armée. Ensuite, il est normal qu'il mette son courage au service des Français. Bonaparte est bien le « sauveur » de la nation. C'est comme cela que l'histoire l'a longtemps dépeint et qu'il s'est plus à se voir sa vie durant. Dans la proclamation, les ennemis sont des « assassins » et des « factieux ». Il s’agit des jacobins dont on proscrira un grand nombre par la loi du 19 brumaire. Le « génie » de Bonaparte, si je puis me permettre, c'est justement le fait qu'il manie admirable la propagande et il à donc recours à une deuxième inversion des faits. Bonaparte va présenter les adversaires du coup d’Etat comme ceux qui menacent l’ordre public.Bonaparte, pour autant, esquisse quelques axes de son programme dans cette brève proclamation. Les mots « liberté », « égalité », « respect de la République », indiquent la volonté de s’inscrire dans la « continuité » de la Révolution. Notamment ; il fait référence à la propriété et aux « idées conservatrices, tutélaires et libérales ». Don, pour lui, il s’agit bien de mettre en avant son pouvoir personnel et de s'imposer comme le garant d'un retour à l’ordre tout en sauvegardant les acquis de 1789. La rédaction de la Constitution de l’an VIII, qui met en place le régime du Consulat, met fin à la période révolutionnaire.

 

Maintenant, essayons de voir la perception des journées de brumaire vu de l'étranger. Joseph von Görres est un penseur allemand rhénan. Au printemps 1799, il se montre favorable au rattachement des départements rhénans à la France. Il est envoyé en mission dans le but d'obtenir la réunion de la rive gauche du Rhin, de présenter les difficultés rencontrés par Lakanal et de dévoiler les « intrigues » contre-révolutionnaire en Rhénanie. Görres a écrit un texte sur cette mission : Résultats de ma mission à Paris. Il est à Paris au moment du coup d'État et il écrit redouter l'ambition d'un seul homme, prévoyant pour la France un régime dictatorial. Pour lui, la Révolution n'est affaire que de « sentiments » et de « passions ». La majorité de la population s'est rapidement détourné de la Révolution, celle-ci étant animée par une minorité de révolutionnaires. En fait, il énonce ensuite que les Girondins ont été les théoriciens de la Révolution tandis que les Jacobins en étaient les praticiens. Seulement, aucun des deux courants n'a su su allier véritablement théorie et pratique. Enfin, nous dit Görres, la moralité publique se dégrade sous le Directoire, entraînant le 18 fructidor et le 30 prairial, aboutissant finalement au coup d'État du 18 brumaire. Arrive alors la problématique de « l'homme providentiel » et l'idée communément admise, résumé par Maria Gilli : « Ce coup d'État n'est donc pas comparable aux autres, il signifie la fin et l'échec de l'expérience révolutionnaire ». Cet épisode est donc perçu comme un moyen d'autodéfense entraînant un repli sur elle-même de la France et donc la fin du cosmopolitisme si brillamment décrit par Emmanuel Kant. Vu par un soutien jacobin de la Révolution française, le coup d'État est à la fois une « rupture » d'avec les idées de la Révolution, mais c'est aussi une « rupture » avec la République et le retour au pouvoir personnel en France.

Au point auquel nous arrivons, le coup d'État fut-il une « rupture » ou s'inscrit-il dans la « continuité » ? Curieusement, il semble s'inscrire, par l'orientation que lui en a donné Bonaparte, dans la « continuité » de la Révolution – c'est-à-dire celle de 1789 – mais pas dans la « continuité » de la République. Ainsi, c'est un « rupture » d'avec la République, et donc l'émergence d'un nouveau régime, qui même en martelant les mots de « république française » cache en réalité un nouveau pouvoir personnel, dont les contemporains, mise à par peut-être, comme je l'ai dit, Benjamin Constant, n'ont pas eu conscience tout de suite. Dans ma conclusion je répondrais donc, en quelque sorte à ma problématique : « rupture » ou « continuité » finalement ?

 

Conclusion

 

Sur le moment, le coup d'État est perçu comme la « continuité » du régime précédent avec un énième coup de force. D'ailleurs, comme le dit Petiteau, « le consulat est globalement bien accueilli parce qu'il permet d'espérer la fin du « désordre » et de « l'anarchie », position d'autant plus affirmé qu'à Bordeaux la Révolution a entravé l'activité commerciale » (p.36). Par exemple, dans l'Eure, du fait du brigandage et de l'activisme royaliste, la population souhaite un retour au calme et surtout à la sécuritaire. Souvent, le besoin « sécuritaire », ou l'illusion de ce besoin, permet ou entraîne le durcissement du régime. Il important de signaler également que la bourgeoisie des milieux d'affaires notamment aspire à la reprise du développement économique et ils n'ont pas vu dans Bonaparte le « sauveur » tant espérer. Quant aux modérés, aux administrateurs locaux, ils souhaitent pouvoir enfin bénéficier des acquis de la Révolution, et surtout de leur argent pris sur les biens de l'Église. Les élites craignent un débordement populaire et répriment tout ce qui s'apparente à une contestation. Bonaparte est donc l'incarnation du durcissement du régime, en « rupture » - malgré les apparences – avec la République. La « continuité » avec la Révolution est plus nette, mais en fait tout aussi illusoire puisque les élites au pouvoir veulent « terminer » la période révolutionnaire, profitant d'un régime autoritaire pour développer leur richesse. Finalement, le coup d'État de brumaire souligne non seulement une rupture politique, mais aussi un retournement des élites qui se comportent déjà comme les nobles de l'Ancien Régime que certain dénonçait dix ans plus tôt. Sieyès sera même fait comte d'Empire. Donc, l'intelligence de Bonaparte fut de simuler une « continuité » pour mieux affirmer et préparer la véritable « rupture » que sera en 1802 le consulat à vie, puis en 1804 le couronnement.

 

Simon LEVACHER,

Licence 3, 2011-2012

Université du Havre

 

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