Dans ses Cours, Auguste Comte parle de physique sociale. Un terme qu'employait déjà Adolphe Quételet (1796-1874), sur lequel je vais revenir ici. En 1835, chez Bachelier, il publie un Essai de physique sociale dans lequel il s'attache au développement des facultés de l'homme. Il part du principe que l'homme est soumis à des lois naturelles qui agissent sur son développement. C'est une forme de déterminisme puisque l'existence de lois pour expliquer les actions de l'homme reviens à nier le hasard et la possibilité de transformations imprévues. Charles Darwin mettra fin à cette croyance, mais bien plus tard.
L'homme, « en le dépouillant de son individualité, nous éliminerons tout ce qui n'est qu'accidentel ; et les particularités individuelles qui n'ont peu ou point d'action sur la masse s'effaceront d'elles-mêmes, et permettront de saisir les résultats généraux ». Cette citation est intéressante car elle nous rapproche de Durkheim. En effet, pour Quételet, l'individu en tant que tel, n'a pas d'influence sur la masse. Tout ce qui est particulier n'est pas digne d'intérêt. L'homme forme un tout qu'il faut prendre comme tel. Ici, l'objet d'étude c'est l'espèce humaine et, pour aller plus loin, c'est la société tout entière – la « masse » - au détriment de l'individu.
Or, Max Weber montrera, par la suite, que l'individu a une importance. Les accidents peuvent avoir des conséquences au point de créer quelque chose de nouveau. Les minorités peuvent devenir majorités comme une faiblesse peut devenir une force. Alors oui, les particularités individuelles peuvent agir sur la masse. Quételet propose de prendre du recul pour étudier les lois concernant l'espèce humaine « car en les examinant de trop près, il devient impossible de les saisir (...) ». Seulement, nier l'individualité, c'est forger des généralités sur des appréciations d'ensemble et donc, finalement, abstraites. En effet, prendre l'évolution d'un groupe d'individus dans le temps en niant les transformations individuelles qui ont contribué à cette évolution c'est ce borner à l'étude de la surface.
Les esprits les avisés diront fort justement que l'espérance de vie est le résultat de la moyenne des âges à la mort des individus composant le groupe. Or, Quételet ne s'intéresse qu'à l'évolution de la moyenne. Cela nie l'existence d'individu pouvant être morts très âgés avec d'autres morts très jeune. Cela n'est toutefois pas la même chose que des individus morts environ au même âge. Dans les deux cas, il est possible de trouver le même résultat, mais les conclusions seront différentes. Plus précisément encore, Quételet s'intéresse à ce qui, dans une série statistique par exemple, reviens le plus souvent. N'est-ce pas ce que fait Durkheim avec le suicide ?
Pour sa part, Quételet explique que « l'expérience prouve que non-seulement les meurtres sont annuellement à peu près en même nombre, mais encore que les instruments qui servent à les commettre sont employés dans les mêmes proportions. » Cette évidence ne permet pas d'expliquer pourquoi les meurtres sont commis et quel est l'origine sociale de cette forme de violence. Simplement, la stabilité de la moyenne montre un taux constant de meurtre admissible dans une société, car inévitable. La hausse ou la baisse de cette moyenne entraîne en revanche d'autres conclusions. Si cette moyenne a un sens et qu'il faut en tenir compte, cela exclus les individualités. Qui sont les meurtriers ? Qui sont les victimes ? Max Weber aurait sûrement dressé le portrait d'un certain nombre de ces meurtriers et de ces victimes pour en dresser un type idéal, puis, seulement ensuite, il aurait sans doute comparer l'évolution de ces idéaux types.
Quételet est donc le garant d'une sociologie quantitative avant Durkheim. Pourtant, il est bien souvent laissé dans l'ombre, malgré l'importance qu'il a eu concernant les sciences mathématiques. Il n'est ni Français, ni véritablement sociologue, mais il a contribué à collecter de précieuses données sur la population. En revanche, s'il n'est pas un sociologue reconnu, c'est un des tout premier statisticien moderne puisqu'il a mis en avant la collecte de données sur le monde social et qu'ils les a aussi analyser et interpréter. Pour ce faire, il utilise les techniques des mesures, des enquêtes et des relevés déjà impulsés au XVIIIe siècle avec la pratique des recensements. En cela, il est précurseur de notre INSEE.
L'objectif de Quételet était d'utiliser les sciences dures dans les sciences de l'homme. Ainsi, partant du principe que les phénomènes astronomiques sont prévisibles, il annonce que les phénomènes sociaux peuvent aussi l'être, en fonction de certains critères définit scientifiquement, dont la moyenne fait partie. Pour lui, avoir l'idée de l'évolution « normale » d'un phénomène permettra de détecter lorsqu'une courbe de données devient « anormal ». Par exemple, si la moyenne des meurtres commis avec une arme à feu augment considérablement.