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27 octobre 2011 4 27 /10 /octobre /2011 17:45

 

En 1892, un département de sociologie est créé à Chicago et c'est l'apparition de l'anthropologie des migrants avec William Issac THOMAS (1863-1947) & Robert Ezra PARK (1864-1944) qui montrent la double appartenance de l'individu en diaspora, c'est-à-dire un univers d'origine et un univers du pays de résidence.

    • THOMAS, en se rendant en Pologne entre 1908 et 1913, rend compte de l'importance qu'il y a à connaître l'univers culturel de l'émigrant. Pour lui, finalement, émigration et immigration sont indissociables. En effet, la connaissance du milieu permet de saisir l'impact du nouveau contexte.

    • PARK, lui, pose la question suivante : qu'est-ce qui se passe chez l'I vivant un processus d'acculturation et se trouvant confronté à des allégeances multiples ? Il explique que c'est l'expérience migratoire qui est déterminante dans la construction de la personnalité du migrant.

 

> L'article de PARK « Human Migration and the Marginal Man » (1928)

 

En 1928, c'est l'apparition de l'expression « homme marginal ». Pour PARK, « hormis l'assimilation qui ne se réalise pas forcément, il envisagera aussi la formation de « minorités », voire de « castes » » (p.16). Les phénomènes migratoires posent également des problèmes culturels et psychologiques, et non seulement démographiques et géographiques. Le fait migratoire est fondamental pour rendre compte de l'évolution des cultures. En fait, c'est l'idée que le migrant est de plus en plus solitaire et se retrouve confronté à deux cultures et deux sociétés. L'interprétation et la fusion de de celles-ci ne sont jamais complétement réalisées. Cette situation de marginalité a comme conséquence l'impossibilité de s'identifier à l'une ou l'autre des deux cultures auxquelles il participe. Finalement, l'homme marginal vit tout à la fois « dans deux mondes dans lesquels il est plus ou moins en danger ». L'homme marginal est identifié à un étranger, du moins d'après PARK. Pour fonder son appréciation de l'homme marginal, il s'appuie sur les travaux de SIMMEL (1858-1918). Pour celui-ci, la notion de marginalité, bien qu'elle ne soit pas explicitement cité, est implicitement présente à travers l'analyse de l'unité de la distance et de la proximité qui caractérise la position de l'étranger et qui sera au coeur de la problématique de « l'homme marginal » chez PARK. « L'étranger, écrit SIMMEL, est un élément du groupe lui-même, tout comme le pauvre et les divers « ennemis de l'intérieur », un élément dont la position interne et l'appartenance impliquent tout à la fois l'éxtériorité et l'opposition. » (1908).

 

> L'ambivalence étranger-immigrant apparaît, se déclinant en intériorité/extériorité et en distance/proximité.

 

      • Ambivalence par la participation simultanée à deux univers sociaux et culturels => il tendance à les idéaliser mais aussi à les critiquer.

      • Ambivalence perceptible à l'égard de la culture et de la société d'installation => il peut même faire l'objet d'une certaine répulsion de la part de la société d'installation quant l'immigrant se trouve confronté à la xénophobie, au racisme (cf. texte de Pierre-Jean SIMON).

      • Ambivalence qui s'exerce vis-à-vis de lui-même (l'immigrant) => l'individu en situation de marginalité développe une très grande conscience de soi et une extrême sensibilité à son environnement. Il se regarde à travers le regard des autres et il se fait une image positive de lui-même par rapport au groupe minoritaire dont il est issu.

 

> La thése de STONEQUIST, The Marginal Man : a Study in Personality and Culture Conflict (1937) confronté à celle de PARK.

 

      • STONEQUIST met l'accent sur l'état de crise que vit l'homme marginal. Il développe donc une vision pessimiste de l'homme marginal. La personnalité marginale serait en fait une forme de double personnalité. Il étend le concept d'homme marginal à tout individu qui « s'est trouvé involontairement initié à deux ou plusieurs traditions historiques, linguistiques, politiques, religieuses, ou à plusieurs codes moraux ». La marginalité conflictuelle peut aussi apparaître au sein même du groupe culturel d'appartenance. STONEQUIST, concernant le devenir et le rôle que pourrait jouer dans la société l'immigrant, met l'accent sur les difficultés d'insertion sociale de l'immigrant qui devient un « dépaysé », un « déclassé » et enfin un « déraciné ».

      • PARK évoque l'état de crise permanent que connaît l'homme marginal, mais pour lui la crise n'est pas un état anormal et n'a pas nécessairement de conséquences négatives. L'homme marginal caractérisé l'immigrant, l'étranger, et est définit comme un « hybride culturel ». Il est optimiste concernant le devenir et le rôle que peuvent jouer dans la société les immigrants.

 

> Roger BASTIDE et « le principe de coupure »

 

BASTIDE juge essentiel de prendre « aux sérieux » l'expérience de la migration et ses conséquences psychologiques. La migration, c'est une opération qui aboutit à une transformation de l'individu. Ses recherches de terrain l'ont amener à contester certaines affirmations de STONEQUIST. BASTIDE concède : « J'avais raisonné avec avec une mentalité de sociologue, une mentalité logique postulant qu'à tout syncrétisme externe devait correspondre un syncrétisme psychique. » (1946) Le terme de « syncrétisme » a un sens plus ou moins négatif, synonyme d'assemblage hétéroclite. Ainsi, se référer à un « syncrétisme psychique » c'est évoquer une certaine confusion psychique. BASTIDE ne conteste pas les phénomènes de marginalité, mais l'analyse faite par STONEQUIST. Finalement, ce n'est pas la marginalité culturelle qui est la cause de la marginalité psychologique, mais c'est bien plus la marginalité sociale. « La marginalité (psychologique), écrit BASTIDE, est plus prise de conscience de 'résidus' que de déchirement entre deux cultures antagonistes. » (1955)

La marginalité culturelle ne se transforme pas nécessairement en marginalité psychologique grâce à un mécanisme psychique que BASTIDE appelle « le principe de coupure ». « Ce principe permet à l'individu de vivre simultanément et sans drame dans deux mondes culturels différents en contact l'un avec l'autre » (p.22). Ces coupures sont délimitées et maîtrisées par l'homme marginal. Elles lui permettent d'éviter sa propre déchirure. Pour BASTIDE, le principe de coupure est un mécanisme de défense de l'inconscient qui permet à l'individu de conserver son intégrité psychologie, son équilibre, tout rn vivant une participation à deux univers culturels. Grâce au principe de coupure, l'individu ne vit pas entre deux cultures, mais dans chacune des deux sans les faire communiquer directement. BASTIDE a introduit une nouvelle notion, celle de « société marginale », c'est-à-dire de groupe marginal ou de communauté marginale. Selon lui, l'individu marginal est d'autant moins menacé par l'inadaptation et l'instabilité psychologique qu'il appartient lui-même à une « société marginale ».

 

Il ne faut pas confondre les notions « d'homme marginal » et de « société marginale », car elles renvoient à des réalités différentes :

=> L'une d'ordre essentiellement psychologique (STONEQUIST)

 => L'autre d'ordre anthropologique = toutes les sociétés marginales ne remplissent pas automatiquement cette fonction de société de passage (BASTIDE)


> Le « portrait » de l'homme marginal

 

Les individus en situation de marginalité culturelle ne sont pas des inaptés sociaux. Ils sont souvent très adaptables et particulièrement créatifs. Les « marginaux culturels » trouvent une plus grande marge de liberté et de manoeuvre qui explique leur créativité. BASTIDE ne pense pas que le déracinement soit un drame en soi. Il les voit comme des individus pourvus de ressources culturelles multiples, acquises dans leurs différents univers d'appartenance. Cette absence de racines, d'après SIMMEL, confère à l'étranger l'objectivité et la liberté qui le caractérise. BASTIDE rejoint, sans le savoir vraiment, PARK. Il est convaincu que la marginalité culturelle est souvent souce de créativité et de synthèses culturelles fécondes.

 

En conclusion, disons qu'il n'est pas surprenant que l'approche compréhensive de l'étranger, de l'immigrant, de l'homme marginal, comme sujet conduise des auteurs comme SIMMEL, PARK et BASTIDE à une conception positive des migrations. La migration est aussi un fait individuel, elle affecte profondément le migrant, elle le transforme, elle fait de l'homme marginal un « citoyen du monde », disponible et ouvert.

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commentaires

T
<br /> D'accord avec ces derniers propos. Ce qui manque au marginal, quel que soit le type de marginal, ou ce qui<br /> fait sa force, ce n'est pas la culture d'un pays ou la connaissance de la culture d'un pays, c'est la possibilité de s'identifier, de s'intégrer. <br /> <br /> <br /> Nous sommes tous, à un moment ou à un autre, des marginaux. Nous le sommes quand nous ne participons pas, ne nous fondons pas au sentiment commun, à l'élan commun, aux valeurs communes, aux<br /> engouements communs. C'est surtout une question d'affects en quelque sorte. Le détachement, la réserve, sont la caractéristique du marginal.<br /> <br /> <br /> Cette position peut être ressentie douloureusement par le groupe ou quand on a très envie de faire partie d'un groupe, ou peut être une supériorité : elle favorise la lucidité et la liberté.<br />
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M
<br /> <br /> Je trouve cela assez discutable au contraire... Le marginal le devient parcequ'il a été marginalisé, mis à l'écart d'un groupe par ce groupe. Les cas d'intégrations véritables sont le fait du<br /> groupe qui accepte la présence du "marginal". Seulement le "marginal" peut tout aussi bien être un malade "déviant" que l'on va mettre à la marge de la société en l'enfermant dans un lieu afin<br /> qu'il ne puissent nuire à la société. Pour moi, le "marginal" est une position plus négative que positive. Certains marginaux sont parfaitement intégrés dans une société, mais préfère s'en<br /> exclure volontairement. Ce n'est pas la majorité et ceux qui sont exclus le sont parce qu'ils ont été rejetés. Il suffit de prendre l'exemple des Roms pour s'en apercevoir. <br /> <br /> <br /> <br />

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