Raymond Aron, dans La sociologie allemande contemporaine (PUF, p.81-126), affirme que la sociologie de Max Weber est imprégnée par l’histoire. Cet intérêt pour l’histoire se retrouve dans la notion de type idéal, construction conceptuelle qui lui permet de comprendre une réalité historique comme le capitalisme. La méthode compréhensive consiste à trouver, pour Weber, le sens que les individus donne à leurs actions. C’est ce qu’il fait ici avec le capitalisme. Il se demande comment les Protestants ont contribué à la naissance de l’esprit capitaliste moderne ? Nous verrons qu’il apparaît après la rupture religieuse provoquée par la Réforme. Rupture qui entraîne un changement d’esprit dans la gestion de l’entreprise. Changement d’esprit qui s’est développé à partir de l’ascétisme religieux des Protestants.
La Réforme et la rupture avec le catholicisme
Nous allons nous interroger plus particulièrement sur les causes historiques du capitalisme moderne. Max Weber considère que le Protestantisme est à l’origine du capitalisme moderne, c’est-à-dire qu’il est fondé sur une organisation bourgeoise du travail. L’éthique protestante n’est cependant qu’une explication de la naissance du capitalisme moderne, et non la seule explication. Dans l’Histoire économique, qui correspond au deuxième texte dont nous faisons l’analyse, Weber prend deux exemples de communauté d’ascètes célibataires, les moines tibétains et les moines catholiques du moyen âge. Les seconds, notamment, menaient déjà une vie rationnelle, c’est-à-dire qui repose sur une bonne méthode, et dont l’objectif était d’atteindre l’au-delà. L’objectif des Puritains, comme nous le verrons, est le même. Seulement, comme le montre Weber, les Catholiques reste hostile à l’accumulation du gain. Ils se méfient de la richesse et ont plutôt tendance à valoriser la pauvreté plus que le travail, la charité plus que l’épargne, la dépense ostentatoire plus que l’investissement. La Réforme protestante, dont le point culminant se situe au XVIe siècle, se traduit par des guerres meurtrières en France ou en Allemagne. La question du Salut des âmes est ici importante. Pour les Catholiques, il peut être accordé par la rémission des péchés (c’est la pratique des indulgences). Pour les Protestants, au contraire, et c’est ce que Weber appelle le puritanisme calviniste, le Salut de l’âme d’un croyant n’est pas prédestiné. Il y a une angoisse réelle au sujet de son devenir dans l’au-delà. Le fidèle, toujours selon Calvin, doit, pour obtenir la rémission de ces péchés dans l’au-delà, développer une intense activité « intramondaine », c’est-à-dire un engagement dans le monde. Weber explique que, je cite, « les églises ascétiques qu’engendra le protestantisme prodiguèrent à cette ascèse intramondaine l’éthique adéquate », c’est-à-dire la morale appropriée.
L’ascétisme religieux des Protestants
L’ascèse, selon le dictionnaire Larousse, vient du grec askêsis qui signifie exercice. L’ascèse c’est une manière de vivre de quelqu’un qui s’impose certaines privations, ou pour le dire autrement, c’est un effort visant à la perfection spirituelle par une discipline constante de vie. Pour Weber, c’est l’idée que chacun est moine en ce monde. Les Protestants accordent une grande importance aux confessions religieuses. Pour entrer dans une d’elles, le croyant doit subir un examen de sa conduite morale. La religiosité ascétique des quakers (société anglicane des Amis), des baptistes et des méthodistes, par exemple, se fonde la formule « honesty is the best policy », c’est-à-dire « l’honnêteté est la meilleure politique », et sur l’idée que, par expérience, Dieu reconnaît les siens dans l’au-delà. En étant honnête dans le monde, en plaisant par là à Dieu, les Protestants multiplient les chances d’avoir une bonne place dans l’au-delà.
Le changement d’esprit dans la gestion de l’entreprise
Weber construit sa pensée à partir de types idéaux. D’un point de vue méthodologique, Weber différencie la forme de l’esprit d’un idéal type, c’est-à-dire qu’il fait la différence entre la façon dont le capitalisme s’exerce et la manière dont il est pensé. Ainsi, dans L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, il dresse l’idéal type de l’entrepreneur du XVIIIe siècle. « À tous égards, explique Weber, c’était là une forme d’organisation « capitaliste » : l’entrepreneur exerçait une activité purement commerciale. » L’entrepreneur gère sa comptabilité et emploi des capitaux. Son activité est donc rationnelle. Il exerce une forme de capitalisme. L’esprit de l’entrepreneur du XVIIIe siècle, en revanche, est resté traditionnel. Traditionnel par son mode de vie (rencontre au café avec ses collègues), par le taux de profit (relativement faible), par la quantité de travail fourni (5 à 6 heures par jour, ce qui est très peu à l’époque), par l’absence de concurrence, par la gestion de l’entreprise et par le rapport entretenu avec les employés et les clients. Ce qui a changé, ce n’est donc pas la forme, mais l’esprit de l’entrepreneur. C’est important, car cela va changer le mode de vie de l’entrepreneur. Il ne gagne plus de l’argent pour commercer, mais pour spéculer, c’est-à-dire qu’il devient actionnaire. Le principe est de réduire les prix et d’augmenter le capital.