Les manifestations des italiennes dans les rues du pays contre les pratiques du vieux pervers Silvio Berlusconni, ont (re)posés la question de la place des femmes dans la société, mais aussi du rôle que les hommes leur attribue, revient sur le devant de la scène. Nous sommes en 2011 et on constate que, si un “ras le bol” des femmes commencent à se faire sérieusement sentir, c'est parce que des hommes ont encore une mentalité plus proche du caillou que de l'être humain, cet animal parfait doué d'intelligence et de raison.
Mesdames, vous avez donc un sérieux travail à faire pour faire respecter vos droits. L'histoire des femmes et du genre, depuis une vingtaine d'années, a pris un essor tout particulier en Sciences humaines et sociales. Cela montre bien un changement, mais il reste celui d'une élite et, malheureusement, beaucoup d'hommes sont encore imprégnés d'une vision de domination inconsciente et d'une vision stéréotype de ce qu'est une femme et de ce qu'est un homme. De fait, si de nombreux “machos” se sont rangés en ne sortant leur réflexions vaseuses qu'en dehors de la présence des femmes, et la plupart du temps de leur propre femme, les mentalités n'ont guère évolués depuis un siècle.
Certes, me dira t-on, les femmes ont obtenues des avancées politiques et sociales importantes, comme le droit de vote, IVG... Mais cela n'influence pas les mentalités. Il reste que les idées reçues persistent, que les femmes restent “inférieures” pour de nombreuses personnes, sans que cela soit parfois conscient, ni même perceptible dans le discours. Moi-même ne suis certainement pas exempt de ses représentations malgré mon attachement à défendre l'égalité juridique, politique et sociale entre les hommes et les femmes. Pourquoi serais-ce un problème pour un employeur qu'une femme soit enceinte ? Il n'y a pas de problème, il suffit de trouver un arrangement autre qu'une baisse de salaire ou une mise en temps partiels. En effet, pourquoi une telle inégalité alors que les hommes ne peuvent pas porter un enfant (alors qu'ils ont tout de même un peu participés à sa conception).
Comme le montre aussi l'affaire Berlusconni, accusé d'avoir eu des rapports avec une mineure prostituée, l'idée véhiculée est la pire de toute : celle de la femme comme objet sexuel et marchand. Bref, c'est le cliché qui voit dans l'homme un être intéressé uniquement par le rapport sexuel en soi. L'idée d'une hiérarchie des sexes est exposé par Bourdieu dans La domination masculine, affirmant que les femmes consentent à cette domination symbolique. De plus, il explique que l'accès aux même droits que les hommes renforcent cette situation de domination car elle devient plus acceptable (du fait même de l'égalisation des conditions). Simmel, dans Philosophie de la modernité, affirme que la femme est par essence différente de l'homme et que cette différence est indépendante du rôle social qu'elles peuvent jouer.
L’opposition de l’homme et de la femme est avant tout biologique. Nous vivons dans une société où les valeurs communément admises sont des valeurs masculines. Nous manquons de moyens pour penser l’essence de la femme explique Simmel, ce qui l’a fait être femme et fait qu'elle ne pourra jamais être un homme. Celui-ci, quant à lui, a pris le rôle dominant dans nos sociétés, soit effectif, soit symbolique. Bourdieu montre bien que cette domination est acceptée, consentie, voir même demandée par les femmes. Pourquoi ? Il ne répond pas à la question. Simmel, un siècle avant Bourdieu, propose une vision des choses beaucoup plus subtile.
Pour décrire la place de la femme dans la société (nous sommes au début du XXe siècle) Simmel esplique qu'elle ressent son état d’infériorité, de manière consciente ou inconsciente, mais qu'elle le ressent. De fait, elle donc n'a pas une place sociale définie, mais elle aspire à en trouver une. C'est toute la difficulté. Ce n'est pas comme si la place de la femme était “juridiquement” définie comme c'est le cas dans certains pays appliquant la charia. La femme sait qu’elle est différente (et pas uniquement sur le plan physiologique) et donc, en sachant cela, elle va chercher à être reconnue comme telle, c’est-à-dire comme une femme. Or, qu'est-ce que c'est être une femme ? Il est bien difficile pour un homme de répondre à une pareille question.
Simmel en donne une explication plus psychologique que sociologique ce qui, il est vrai, est assez séduisant au premier abord. “Alors que la sexualité biologique est pour l’homme surtout concentré dans l’acte sexuel, au contraire la féminité est pour la femme relativement indifférente à la relation sexuelle avec l’homme. (...) La femme est et se sent femme sans que cela implique nullement qu’elle soit disposée à recevoir les hommages sexuels de tous les mâles qui la désirent.” – Vieillard-Baron, 2004. On retrouve ici se soucis, purement masculin, d'affirmation de sa virilité, de sa capacité à assurer la descendance... Bref, c'est une préoccuparion bien plus proche de l'état d'animalité – de l'instinct de reproduction (biologique et sociale) – que de celle de l'être humain idéalisé par l'humanisme du XVIe siècle. En effet, Simmel pense que l’homme voit la femme comme étant incapable de faire la différence entre ce qui est superficiel et ce qui est essentiel.
En réalité, pour la femme, rien n’est superficiel, ce qui n’implique pas non plus que tout soit essentiel. Le quotidien est ainsi vécu comme très important. Simmel reconnaît le caractère unitaire et spécifique propre à la femme. La « pure sensualité » de la femme s’oppose à « l’esprit d’analyse » de l’homme. L’homme est beaucoup plus formaliste que la femme. Il attache plus d’importance aux « formes sociales » que la femme. La vision est un peu schématique et relève encore de cet esprit d'analyse masculin en affirmant que la femme se caractérise par son côté sensuel. Finalement, l’être de la femme est plus intérieur, plus intime, et, dès lors, l’extériorisation est source de problèmes (pour elle-même, mais aussi par le rapport aux autres et par le rapport à la société qu’elle implique). L’homme en revanche est expansif, se livre plus facilement, le plus souvent sans s'en rendre compte, et donc, dès lors, l’intériorisation est également source de problèmes (avec lui-même, mais aussi source d’inquiétude pour les autres).
La femme a du mal a extérioriser ses sentiments et l'homme est en conflit avec lui-même en permanence. L'homme et la femme complémentaire ? De la vision que Berlusconi a de la femme a celle d'une complémentarité “naturelle”, psychologique, nous avons fait du chemin. Or, cette vision c'est un dualisme et nous savons les dangers d'une telle vision. Il faut nuancer. Pour cela il faut une troisième vision des choses. Peut-on en voir les prémisces dans les certaines pratiques masculines consistant à se travestir pour le “fun” ? Ces pratiques sont-elles un retournement de situation ou une manière de se rassurer en sigeant une façon d'être qu'ils peuvent de plus en plus difficilement afficher publiquement ?
La femme souffrirait moins de la solitude par ce qu’elle est bien chez elle, avec elle-même, ce qui expliquerait qu’elle se suicide moins que l’homme comme le montreDurkheim dans Le suicide. L’homme, en revanche, souffre davantage de la solitude. Le confort de son toit l’oblige souvent à se replier sur lui-même, et donc cela créé des problèmes, des tensions. Bref, cela génère du conflit, alors que pour la femme, l’« être-femme », et la vie en générale, ne font qu’un. Le génie créateur, comme l’appel Simmel, c’est cette capacité de vivre en étant soi-même et non en essayant d’être quelqu’un ou quelque chose d’autre. L’homme cherche sans cesse à prouver tout ce qu’il dit et tout ce qu’il fait. Cela en partie parce que les femmes le demande. On observe tout le paradoxe et la complexité de cette relation entre l'homme et la femme, de ce conditionnement social.
Souvent, et dans le cas de l'affaire Berlusconi cela joue un rôle, on note une attirance des hommes ayant la cinquantaine pour des jeunes femmes – parfois vraiment très jeune – pour se rassurer le plus souvent. Il est en effet rassurant de pouvoir s'afficher avec une “jeune beauté” de vingt ans quant on en a soixante. Dans le cas de Berlusconi la chose est encore plus sordide. Il suffit de jetter un coup d'oeil sur ce qu'écrit Simmel sur la beauté féminine pour être frappé du contraste.
La beauté féminine, telle que la décrit Simmel, n’est pas seulement esthétique, mais c’est l’harmonie, tant intérieure qu’extérieure. C’est la mise en forme de l’existence qui est importante, voir primordiale. Pourtant, l’attitude de certaines jeunes filles aujourd’hui n’est pas “naturelle” si l'on accepte cette position. S’habiller en affichant non plus cette “pure sensualité” dont parle Simmel, mais en ramenant la femme à un objet sexuel, ce n’est pas cela “être-femme”. Le chemin est donc encore long vers une libération de la femme sur le plan social, juridique, politique et aussi sexuel, mais il convient de minimiser cette aspect-là car il n'est pas le plus important aux yeux des femmes (même si elles attachent de l'importance à la relation amoureuse bien sûr). Il apparaît évident que l'homme sera bien plus jaloux que la femme mais celle-ci aura souvent plus de mal lors d'une rupture si ce n'est pas elle qui l'a décidée.