Ce qui me plaît dans l'histoire c'est son ouverture, la possibilité qu'elle nous donne de comprendre l'inaccessible.
Penser l'autre revient à se penser soi-même.
Commenter un texte historique procure un réel plaisir. Il faut décortiquer, saisir l'essentiel du futile, faire un intense travail de réflexion pour pénétrer la logique des mots, des phrases devant nous.
Entrer dans un univers passé pour éclaircir une infime partie d'une existence, d'une mentalité qui n'est pas la votre, que voilà quelque chose de passionnant.
Lire un chroniqueur vénitien du XVe siècle renseigne l'historien sur une infinité d'éléments, allant des navires utilisés pour le commerce en général, en passant par la rivalité entre Gênes et Venise et par la vision du monde, spécifique s'il en est, de l'élite vénitienne à ce moment précis.
Comprendre l'utilité de cette richesse est une autre étape de l'intellect que nombre d'êtres humains sont incapables de franchir.
Cela, non pas nécessairement parce qu'ayant une culture médiocre, mais parce que leur mode de pensée, leur façon de voir les choses, ne leur permet pas d'aller au-delà d'une certaine perception de l'utilité du passé.
Ils ne saisissent pas ce qui, dans la multitude des histoires humaines, nous permet de questionner le présent, de nous interroger sur le devenir de notre existence.
La mort n'est rien pour eux, simple étape après la vie. De nous, ne reste que poussière et un corps sans âme qui retournera à la Terre.
L'histoire, dans un utopique élan, cherche à rendre vie à ses personnages anciens dont le corps, depuis des lunes, a disparu, rendu à la Terre.
L'âme des grands hommes, dirait Michelet, peut-être même un Hegel, retrouve toute sa vitalité, sous la plume d'un historien.
Longtemps, trop longtemps certainement, l'ambition de l'histoire fut de ramener à la vie le passé.
Aujourd'hui, modestement, l'historien se fait l'intermédiaire entre un passé et un devenir pour éclairer un présent.
Il ne cherche plus à raconter pour décrire une réalité historique, mais il cherche à raconter pour comprendre une réalité historique.
Il joue le rôle de l'éclaireur, de celui qui débroussaille un chemin, rarement, parfois même jamais emprunté auparavant.
Il n'éclaire pas, ne donne pas de leçon, et ne doit point le faire. L'historien ne juge pas, même s'il donne un avis, interprète le passé en fonction d'un présent, de son présent.
Lire de l'histoire, c'est lire une réflexion qui repose, d'un côté, sur un travail de recherche, fondé sur des méthodes scientifiquement reconnues, et qui repose, d'un autre côté, sur la vision qu'il a des faits qu'il décrit, des personnages qu'il met en scène en fonction des informations apportés par ce que nous appelons pudiquement des « sources ».
La source, ce n'est pas quelque chose de futile, mais c'est une genèse, une base, une fondation.
Toute rivière, tout fleuve possède une source, en amont ou en aval, qui lui donne son eau, sa consistance.
Apprendre à percevoir la genèse d'un événement en respectant la source, en ne lui donnant pas trop d'importance sans pour autant la considérer comme mensongère, va nous permettre de lui trouver une utilité.
Un texte ancien permet à l'historien de saisir une certaine réalité, celle que l'auteur a voulu transmettre.
Pour savoir si ce texte ne nous trompe pas, ne s'égare pas dans une description par trop pompeuse, il convient de trouver un autre texte, relatant le même fait.
Comparer, émettre des hypothèses, faire dialoguer ses sources, nous donne une base de travail, c'est-à-dire nous donne des événements, des descriptions de paysages ou des techniques agricoles, dont nous pouvons établir, avec une quasi certitude, qu'ils ont eut lieu, qu'ils ont été vus ou employés au moment où le texte est écrit, ou au moment où ils sont situés par le texte en notre possession.
Percevoir la réalité est la seule ambition de l'historien. Jamais il ne devra prétendre saisir la vérité de la réalité historique. Il saisit une certaine réalité, celle que les faits, les documents en sa possession à un moment précis, lui permet d'énoncer.
Certes, certaine réalité historique, souvent par leur proximité temporelle avec nous, sont plus facile à saisir.
Interroger des témoins d'un événements renforce la réalité historique par l'apport d'une petite touche d'humanité que l'on ressent en lisant le produit finit de l'historien.
Saisir le changement, l'évolution d'un événement, le mouvement du temps, que voilà une tâche difficile de l'historien.
L'être humain, en tout temps, a su s'entourer de rituels, de symboles, de cérémonie, d'une pensée religieuse, et finalement d'un univers mental.
Tenter de saisir cet univers mental n'est pas chose aisé, demande de la rigueur et exige que l'historien maîtrise les méthodes et connaissent les codes des hommes d'hier.
La grande tare de l'historien d'antan est d'avoir plaqué, machinalement, les valeurs de son temps sur les hommes des temps anciens.
Lucien Febvre dénonça ces anachronismes malfaisant qui brouillent, parfois de la plus inconsciente des manières, la compréhension de l'univers mental d'un individu ou d'un groupe d'individus.
La plus grande joie de l'historien, son plus grand bonheur, je crois, est d'avoir la sensation curieuse, car ce n'est pas quelque chose de banal en vérité, de pouvoir comprendre les personnages étudiés.
Ma plus grande satisfaction, avant tout comme lecteur de livres d'histoires, c'est de pouvoir accéder à une réalité quotidienne sans faire un trop grand effort pour saisir les codes.
L'exigence est énorme, et souvent les profanes ne perçoivent pas la difficulté de l'exercice. Pour rendre accessible un univers historique, une réalité historique, il faut un travail d'érudition impressionnant.
L'historien doit lui-même s'imprégner de son sujet, doit donner réellement de sa personne pour pouvoir, le plus fidèlement possible, rendre compte de cette réalité qu'il s'est donné pour tâche d'élucider, d'éclaircir.
La recherche en histoire est donc la chose la plus intéressante et passionnante qui soit. Elle apporte tout un tas de compétences concrètes, comme une facilité pour l'analyse de document, pour la constitution d'une documentation sur un sujet, pour la recherche en archives, pour l'écriture de rapport et de synthèse.
L'histoire a un bon esprit critique et il est capable, en général, de prendre du recul par rapport à ce qu'il voit, à ce qu'il entend et à ce qu'il lit.
Souvent, et je le déplore, il est incompris. La bêtise des gens est affligeantes sur ce point. L'historien a un vilain défaut, que je trouve plutôt salutaire, qui lui fait prendre de la distance par rapport à beaucoup de choses.
Déjà, il est rarement dogmatique. Quant il l'est, c'est mauvais signe. Il s'enferme pas non plus dans des idées toutes faites. Sur l'actualité, et j'en suis, il a parfois une mauvais analyse car il manque de recul et d'éléments lui permettant de faire la part des choses, de confronter les opinions.
Les historiens sont des individus souvent méticuleux, consciencieux et rigoureux dans ce qu'ils entreprennent. Je ne dirais pas que tous sont calculateurs, mais beaucoup savent se fixer un but.
Un historien, lorsqu'il fait de la recherche, est un forçat de l'abnégation. Il n'abandonnera pas, ira jusqu'au bout de ce qu'il entreprend. Du moins, c'est comme cela que je le perçois.
Quelqu'un qui aime l'ordre, rarement il fera un bon historien. En effet, l'histoire est d'un naturel contestataire car il ne doit pas s'embarrasser de politique et de mémoire. Il décrit ce qui a eut lieu, comme cela a eut lieu, et non en grossissant les qualités ou les défauts de tel ou tel.
Les documents, les vestiges archéologiques, bref, les sources dont il dispose, lui permettent de le faire.
« Humaniser » Hitler, par exemple, passe mal dans les milieux intellectuels. Pourtant, l'historien n'est pas un négationniste, souvent est même opposé, à titre personnel, et c'est préférable, à l'individu barbare que fut le dictateur nazi, mais, comme historien, il se doit de décrire, de comprendre comment un tel homme est devenu ce qu'il est, et ce en jugeant le moins possibles les actes.
Dès lors, l'excellent historien peu passer pour ce qu'il n'est pas, peu devenir très vite antipathique à des individus un peu allergique aux choses comme elles se sont passées, plutôt qu'aux choses comme ils estiment qu'elles se sont passées.
Avoir une position sur un fait historique est légitime, et presque tout les historiens en ont une. Un citoyen lambda peu donner son avis sur l'attentat du 11 septembre 2001, mais un historien consciencieux va mettre de côté les fantaisistes parlant de complot diligenté directement par la maison blanche, pour regarder les faits, au regard des documents, des témoignages et des images vidéos (pour le coup) dont il dispose.
La difficulté, finalement, la plus élémentaire, et que tout un chacun est capable de changer, c'est d'être capable de voir un événement non pas en fonction de sa seule perception des choses, mais aussi de celle des autres.
De fait, essayer de comprendre les attentats du 11 septembre 2001, nécessitera de comprendre la vision des choses des talibans à ce moment précis, tout comme celle des Américains, des Européens, des Africains, des Asiatiques, etc.
Pour autant, l'histoire n'est pas une succession ou une superposition de point de vue, ce serait réducteur et trop simple. Comparer n'est pas suffisant. Il faut avoir à l'esprit que ces points de vues, perçues indépendamment par l'historien, sont connectés les uns aux autres.
La difficulté arrive maintenant puisque l'historien se doit de comprendre les attentats du 11 septembre 2001 en prenant en considération la connexion des différents points de vue entre eux.
Comparer est prendre le risque de généraliser et surtout de juger, ce qui, je l'ai dis, n'est pas acceptable pour un historien, même si, quelque fois, c'est inévitable.
Apporter un éclairage d'un événement c'est accepter de laisser une porte ouverte pour l'historien de demain. Raconter, décrire, analyser, ce n'est pas comprendre la réalité d'un événement.
Pour espérer atteindre cette part de compréhension, il faut prendre du recul par rapport aux témoignages, saisir les ressemblances, saisir l'invraisemblable, voir ce qui est cohérent et ce qui l'est moins. Par exemple, deux témoignages concordant, dont les témoins n'ont pu ni se rencontrer, ni se croiser, sur le crash de l'avion qui n'a pas été filmé le 11 septembre, permet de donner une certaine fiabilité à l'information recueillie, comme si deux scientifiques, sans jamais avoir pu se parler, ni même soupçonner l'existence de l'autre, arrivaient à la même conclusion à peu près au même moment.
Cela renforce la validité de la théorie expérimentale. En historien, concernant les méthodes, c'est la même chose. S'assurer de la validité d'un témoignage nécessite de prendre des précautions, de réaliser une véritable enquête policière.
La recherche historique, du moins universitaire, se doit d'être minutieuse. Il faut tout vérifier, tout recouper et n'affirmer rien tant que l'on n'est pas certain de ce que l'on avance.
Dès lors, je vous laisse seul juge du travail de l'historien, dont certains pourraient penser, peut-être à juste titre d'ailleurs, que je le défens, alors qu'en réalité je ne fais qu'œuvre d'objectivité en décrivant le plus fidèlement, j'espère, ce qu'est la réalité d'un chercheur en histoire.