L'orientalisme naît en France avec la campagne d'Égypte qui influencera de nombreux peintres. Cette expédition, organisée en 1798 par le Directoire, et confiée au général Bonaparte, avait un objectif éminemment politique (gêner les Anglais en Méditerranée), mais elle fut accompagnée par une myriade d'artistes, d'architectes, de botanistes, etc, qui avaient pour mission de recenser le patrimoine archéologique, biologique (faune, flore) et ethnologique. Les images vont être à l'origine de l'orientalisme, mais un orientalisme rêvé puisque très peu d'artistes ont eu l'occasion de voyager. Il utilisent donc les sources à leur disposition, c'est-à-dire les répertoires archéologiques, notamment celui de la campagne d'Égypte, des témoignages et l'imaginaire, souvent des clichés véhiculés en Europe.
L'huile sur bois de Pierre-Désiré Trouillebert (1829-1900), qui date de 1874 et qui s'intitule La servante de Harem, est typique de cet orientalisme rêvé. Le fait qu'il s'agisse d'une huile montre que le tableau a été peint en atelier. Ensuite, dans la composition même du tableau ont voit que la femme centrale, la servante, à un « type européen », ce n'est pas une marque d'orientalisme vécu. Plusieurs clichés sont véhiculés dans cette œuvre. D'abord, celui de la femme belle et sensuelle. Elle a ici la poitrine dénudée. Ensuite, elle celui de la femme riche, parée de bijoux en or. Enfin, elle porte une robe bleu foncé qui renforce l'atmosphère froide qui n'est pas typique de l'atmosphère réel. Cela donne à la femme un aspect cruel. Un élément est cependant orientaliste et reconnaissable : la forme de l'arc (en fer à cheval) au-dessus de l'ouverture. Il y a aussi le mur bicolore. Pour renforcer le côté oriental, un palmier est posé à gauche.
Plus ancien que Trouillebert, mais pour le coup de l'orientalisme vécu c'est le peintre Delacroix. Il est parti avec les soldats en 1830, lors de l'invasion de l'Algérie par Charles X. Delacroix se détachera de l'armée et ira à la rencontre de la population. Ne pouvant emmener son matériel habituel de peintre, il ne prit que son aquarelle. Il a rempli plusieurs carnets de voyages sur lesquels il faisait des commentaires. Femme arabes assises sur des cousins illustre bien cette idée de vécue, notamment par le choix des couleurs (bleu clair, vert clair, beige) qui sont proche de la réalité, mais surtout « casse » un cliché qui est celui de la femme belle, nue, dans son harem. Ici, on a une femme ordinaire, vêtue, dans une pose des plus quotidiennes. Dans l'ensemble, la pièce dans laquelle elle se trouve est sobre (une malle et des coussins).
Par la suite, l'invention de la photographie, puis de l'appareil photographique, va permettre aux peintres et aux scientifiques de figer une personne. La photo de Reiser, Femme arabe au Caire (1909), montre une femme voilée, habillée, et qui va certainement chercher de l'eau. Elle pose sur un récipient en terre cuite. Elle porte des bracelets aux bras, elle a un tatouage à son bras droit et elle semble tenir une cigarette. Celle-ci n'est évidemment pas orientale, mais démontre plutôt que la colonisation européenne a déjà changé les mœurs des habitants. Le timbre de la carte postale est égyptien, écrit en arabe et...en français !
Pour finir, et un peu comme un aboutissement à cet orientalisme vécu, l'exemple de Gauguin (1848-1903) est assez intéressant. Ce peintre va se désintéresser de l'Art académique au point d'aller vivre ailleurs qu'en France. Il choisit pour cela la Polynésie et habite d'abord à Papete puis, à partir de 1895, il choisit de s'installer définitivement sur une île éloignée. Gauguin, va s'assimiler à la population locale au point de parler leur langue et même de se marier avec une jeune fille de treize ans (alors qu'il en a presque cinquante !). Son Éventail décoré de motifs de Ta Mateteest directement influencé par l'art japonais. Il montre une image de l'Orient propre à Gauguin. C'est celle de l'habitant, presque de l'Orient rêvé dans la réalité, c'est-à-dire une représentation de ce qu'était la vie avant, où ce que la colonisation a créé à cette époque. Ici, Gauguin montre trois femmes. Deux sont assises sur un banc, une autre est avec un enfant. Celle-ci est habillée avec l'habit local, c'est-à-dire rouge pour la robe à fleur, avec le haut blanc, les bras nus et une longue chevelure noire. Les femmes sont de « type polynésien » et non de « type européen ». Les femmes assises, elles, sont habillées à l'occidental. Le geste sera repris à l' Égypte par Gauguin, ce qui montre une recherche imagée de l'orientalisme vécu.
Trouillebert voit donc l'Orient au travers des clichés, des témoignages, des images ou des reproductions, mais ne peut pas transmettre la véritable atmosphère ou identité des populations car il n'est pas sur place. Delacroix fige déjà une impression orientaliste en fidélisant, grâce à l'aquarelle, les couleurs, mais aussi la lumière. Reiser et sa photo montre un Orient vécu, « pris sur le vif » ou posé (comme c'est le cas ici) qui est plus fidèle et plus réaliste que Trouillebert. Cependant, et c'est ce que nous montre aussi Gauguin, l'Orient vécu laisse une part au rêve d'un Orient d'avant la colonisation.