• La marche vers la foi
Aurelius Augustinus n’est pas un lettré ordinaire. Celui que l’on appelle aujourd’hui saint Augustin est né en Algérie à Thagaste, actuelle ville de Souk-Ahras, en Algérie, le 13 novembre 354. Son père, Patricius, illettré, est citoyen romain d’origine modeste, et sa mère, Monique, est une fille berbère. Petite ville tranquille de Numidie, Thagaste existe depuis le début de l’ère chrétienne. Elle sera un siège épiscopal à l’époque d’Augustin. Peuplée avant tout de légionnaires réformés, de Berbères et de Puniques, la ville ressemble à beaucoup d’autres à cette époque et Patricius, le père d’Augustin, est un employé communal de l’époque. Sa mère est une femme chrétienne qui avait, selon son fils lui- même, beau-coup de foi. Malgré son inconstance morale, Patricius savait que seule l’étude permettait de faire quelque chose de sa vie. Il a donc économisé pour envoyer ses enfants à l’école. D’abord étudiant à Madaure, le jeune adolescent se retrouve, après une pause de deux ans, à Carthage. Augustin dira dans le livre III de ses Confessions : « Je vins à Carthage où j’entendais bouillonner autour de moi la chaudière des amours infâmes. » Plus tard il aura un regard critique sur cette période : « Je feignais d’avoir fait ce que je n’avais pas fait, avoue t-il sincèrement, pour n’être pas jugé d’autant plus méprisable que j’étais plus innocent et tenu pour d’autant plus vil que j’étais plus chaste. » C’est à cette époque qu’il rencontre celle qui sera sa femme et la mère de son fils, Adéodat. Il a alors dix-sept ans.
• La convertion : découverte de Dieu.
387. C’est à cette date que saint Augustin va se convertir au christianisme. D’abord manichéiste, platonicien, stoïcien, lecteur de Cicéron et adepte de Plotin et de Porphyre, il s’ouvre à Dieu et au Christ. De cette découverte émanera, à la manière de la maïeutique socratique, c’est-à-dire l’art d’accoucher les idées, un des plus grands penseurs du Moyen-Âge avant Thomas d’Aquin. Théologien et philosophe, Augustin a donné au monde des idées un nouveau visage. La religion n’est plus une chose abstraite, mais elle devient intelligible. Quant à l’indépendance de la raison, elle s’oppose à la dépendance de la foi. C’est la foi qui révèle la vérité au croyant alors que c’est la raison qui lui apprend la vérité. La foi, en effet, suppose une sorte de découverte. Cette découverte, qu’Augustin appelle Révélation, c’est la découverte de Dieu, mais aussi de soi-même. Le problème qui se pose dès le départ est simple mais profond : est-ce la raison qui précède la foi ou est-ce la foi qui précède la raison ? Pour Augustin, il n’y a aucune hésitation à avoir : c’est la foi qui précède la raison. Dieu a donné la raison aux hommes donc la raison provient de Dieu. Rechercher Dieu revient à rechercher la raison. Dès lors, si la révélation apporte la foi, la foi apporte la raison, c’est-à-dire la compréhension intellectuelle du monde. Tout cela est bien joli, mais cette pensée n’a de sens que pour le croyant. Celui qui ne croit pas peut essayer de comprendre le croyant en se mettant à sa place, mais il perd l’essence même de la foi. La foi, fides, cherche à comprendre le monde et à guider le croyant vers cette compréhension.
• Je crois pour comprendre
« Credo ut intelligam », je crois pour comprendre. Pour comprendre, il faut croire. Or, pour avoir la foi, il faut comprendre. Donc, pour avoir la foi, il faut croire. C’est jusque-là d’une simplicité déconcertante. Seulement, un syllogisme ce n’est pas une preuve de vérité. Le syllogisme est juste logique. Une logique qu’Augustin n’hésite pas à qualifier d’absurde. « Je crois parce que c’est absurde. » Et parce que c’est absurde, la logique n’a en apparence rien de divin. L’absurdité remet en cause les contradictions humaines. Seulement, sans contradictions, il ne pourrait pas comprendre le monde, et donc de façon intrinsèque, il ne pourrait pas non plus comprendre Dieu. Finalement, l’absurdité fait partie intégrante de la compréhension de Dieu. Si l’on en vient à Dieu, disons qu’il est l’objet de la foi. Je crois en Dieu pour comprendre Dieu, car Dieu, pour le croyant, n’est pas n’importe qui : il n’y a rien ni personne au-dessus de lui, rien ni personne d’extérieur à lui, et rien ni personne n’existe sans lui. Ce constat ferait aujourd’hui bien rire nos astrophysiciens, mais il s’explique à l’époque parce que Dieu est la seule puissance transcendante. Il a créé le monde à partir du néant et donc de rien. Cela signifie dans l’esprit d’Augustin que Dieu existait avant le monde, et donc avant le temps. Dieu existe hors du temps et en dehors de toute chose. Il est partout et nulle part. Pour Augustin, « il y a trois temps, le présent du passé, le présent du futur et le présent du présent. » L’homme est prisonnier du temps, mais Dieu, lui, ne peut l’être car cela impliquerait qu’il ne connaîtrait pas le futur.
• La route vers le bien
Les choses surprenantes arrivent bientôt. On pourrait prendre Augustin pour un allumé ou un fou, alors qu’il n’en est rien. Le croyant doit aimer Dieu car c’est cet amour qui nous apporte le bonheur et qui permettra le salut de notre âme. Pour comprendre Augustin, il faut comprendre que sa pensée est celle de son temps. Désirer aller au Paradis, c’est désirer le Paradis en tant que tel : le reflet de Dieu. La liberté de l’homme sur terre est à ce prix : se conformer à l’ordre divin, à la parole de Dieu. Le croyant doit donc converser avec Dieu s’ilveut recueillir sa parole. Parler à Dieu était donc considéré comme naturel pour Augustin. Pour lui, la révélation faite à Jeanne d’Arc serait tout à fait normale. Il y a de quoi se poser des questions, mais comme les Chrétiens pensaient que les miracles étaient possibles, il faut faire avec. Les miracles supposent qu’il y a des malheurs, et donc le mal. Pour Augustin, faire le bien, être le bien incarné sur terre, c’est une liberté parfaite que possède l’homme. L’homme corrompu, qui ne tend pas assez vers Dieu, possède une liberté imparfaite. Celui qui est bon c’est celui qui est touché par la grâce de Dieu. L’homme ne peut-être bon que si Dieu en a décidé ainsi. Quelle chance ! Oui, mais cela signifie qu’il faut avoir la foi pour être bon puisque c’est Dieu qui nous accorde cet honneur. Pour faire le bien, il faut aussi raisonner. Il faut comprendre l’autre afin d’être capable de l’aider. Augustin en vient à s’interroger sur la notion de mémoire. Qu’est-ce que la mémoire ? C’est une sorte de carte d’identité personnelle. La mémoire est une faculté de la pensée. C’est elle qui nous permet d’avoir conscience du passé, du présent et du futur. C’est un peu la mémoire du temps. C’est elle aussi qui organise nos connaissances et qui permet l’intel-ligence et la volonté. On comprend, dès lors, que l’histoire tienne une place aussi importante dans la pensée d’Augustin. C’est dans la Cité de Dieu qu’il définit le rapport entre Dieu et l’histoire. Dieu a lui-même une histoire. L’incarnation de Dieu en homme permet de donner un sens à la Cité des hommes. Le Christ n’est pas seulement le fils de Dieu, mais c’est un homme mortel, accablé par le malheur, ne retrouvant le bonheur qu’au ciel : la Cité de Dieu.
• Augustin est-il fataliste ?
Il y a chez Augustin une sorte de fatalisme, mais un fatalisme qui repose sur une démonstration simple et naturelle alors que tout est complexe et surnaturel. C’est en cela que le génie d’Augustin est caractéristique. Il justifie notre dévouement à Dieu et la nécessité de se plier à sa parole. La Cité des hommes, le malheur et la mort, tends à devenir la Cité de Dieu, le bonheur suprême et la vie éternelle. Par cette quête du bonheur, fortement contestable selon moi, mais sincèrement défendue par Augustin, les Chrétiens justifient la conversion forcée des païens et autres hérétiques. Seulement, et c’est très important de le signaler, Augustin n’a jamais prôné la mise à mort des païens et autres hérétiques. En ce qui concerne la chute de la République romaine, Augustin l’analyse ainsi : « Là où il n’y a pas de justice, il n’y a pas de république. » Mort martyr, Augustin sera sanctifié par l’église catholique et même considéré comme Bienheureux chez les orthodoxes. Le penseur est universellement reconnu et apprécié comme étant l’un des plus grands philosophe et théologien de son temps. Concluons en entérinant un vieux débat. Augustin n’est pas un misogyne. Il prêche l’abstinence en matière sexuelle, mais il ne prêche pas contre les femmes. Alors qu’il était à Carthage, la ville « des honteuses amours », il rencontra de nombreuses et charmantes demoiselles, dont sa future femme et mère de son fils Adéodat. Par l’exemple d’Adam et Eve, Augustin estime que la sexualité appartient à un Idéal voulu par Dieu. Ce que notre penseur condamne c’est l’acte sexuel considéré dans sa seule recherche du plaisir charnel. Il affirme toutefois que « la totale abstinence est plus facile que la parfaite modération. » Sa pensée, en définitive, influencera le Moyen-Âge et en particulier des penseurs tels que Boèce, Anselme, Bonaventure ou Roland de Crémone. Plus près de nous, elle influencera Descartes, Pascal (la fameuse règle des trois concupiscences9), Malebranche, Leibniz ou encore Heidegger, Arendt ou Ricœur.