À la fin du XVe siècle, ce que les historiens appellent l'État moderne apparaît peu à peu. Son esquisse se fait dès le règne de Louis IX (1226-1270) à la fin du XIIIe siècle. Dans un article, Jean-Philippe Genet revient sur ce tournant historique. C'est l'arrivée de l'argent dans l'action politique. Les rois, pour faire la guerre, pour régner, ont besoin de fonds. Pour en trouver, aujourd'hui, nous le voyons, nos oligarques le prennent aux classes moyennes. Certes, l'impôt pesait lourd sur les pauvres gens, mais certains souverains n'ont pas hésité à prendre aux riches. Genet cherche à comprendre les origines de cette modernité. Qu'est-ce qui est moderne dans la pratique politique de Louis IX ?
De manière intéressante, Genet nous explique que le féodalisme est à la base de l'État moderne. C'est une hypothèse qui n'est pas défendu par tous car une autre idée montre que ce sont les limites de la société féodale qui ont conduit aux famines et aux problèmes économiques du XIVe siècle. À la base, nous dit Genet, le roi moderne est un roi de guerre, ce que n'est pas, paradoxalement le roi féodal, qui est un roi de paix. Il cultive la guerre, mais son objectif idéal est de ramener la concorde en son royaume. Un Philippe IV (1285-1314) n'est pas un diplomate et n'est pas enclin à faire des compromis. La différence de Louis IX avec son petit-fils c'est qu'il fait la guerre lorsqu'elle est nécessaire, mais en même temps il cherche à s'entendre avec ses adversaires.
Genet souligne donc la naïveté de Louis IX qui fait passer l'hommage par dessus le reste. Dès lors, son attitude face au roi d'Angleterre Henri III pour les fiefs de Guyenne lui sera reprochée. La modernité ne vient pas de là. Un autre point important intervient alors. Le roi va partir en croisade, et donc loin de son royaume. En son absence, qui gouverne ? Là est le problème. Il faut établir une régence afin que l'absence du roi ne soit pas préjudiciable à la couronne. Pour se le permettre il doit être efficace et donc il va faire en sorte que ces terres – le domaine royal – donnent le maximum. Genet arrive à ce paradoxe : « Louis IX ne serait un roi moderne que dans la mesure où il est, archaïquement, d'abord un roi chrétien et un roi croisé, et donc avant tout un roi de paix, puisque la paix de la Chrétienté est une condition indispensable au lancement de la croisade. » (p.27)
Pour appuyer cet nouvel État moderne, la propagande royale va s'en donner à cœur joie. Ce sont les fameux Miroirs au Prince, comme celui de Christine de Pizan pour Charles V. Le but est de donner un modèle du bon roi et Louis IX entre dans cette catégorie. Pour son époque, c'est un véritable saint, officialisé dès 1297, c'est-à-dire seulement vingt-set ans après la mort du roi, ce qui est record. Bien sûr, il pourrait être objecté que Louis IX n'est pas le roi de la propagande. C'est une évidence, mais il convient de comprendre la construction d'une image du roi qui va avoir une grande influence dans les décennies suivantes. Louis IX incarne le roi de sagesse. Charles V (1364-1380) en est le parfait exemple. Il n'a pas été surnommé Charles le Sage pour rien. Dans les grands hommes de l'Histoire de France, il a une place centrale. Ce n'est pas pour rien car c'est un roi qui restaure l'autorité de l'État et qui s'affirme comme celui qui centralise les pouvoirs. La Guerre de Cent ans voit apparaître les prémisses de la monarchie absolue et de l'État centralisateur.
___ Source ___
GENET Jean-Philippe, Saint Louis : le roi politique, dans Médiévales, N°34, 1998. Hommes de pouvoir: individu et politique au temps de Saint Louis. pp. 25-34.