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20 mai 2012 7 20 /05 /mai /2012 23:33

100e article dans la catégorie "Histoire"

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Le texte donné à la lecture est un commentaire d'un texte du chroniqueur et homme politique vénitien, Antonio Morosini (1363-1435).

 

INTRODUCTION

 

Les passionnés d'histoire connaissent tous Gênes et Venise qui, avec Florence, Naples et Rome, sont les cités italiennes les plus renommés. Pourtant, connaissons-nous vraiment leur histoire ? Ce texte de Morosini va peut-être nous permettre dans savoir un peu plus. En 1403 – date des événements relatés dans le texte – Gênes et Venise sont des États puissants, mais des États affaiblis par les incessantes guerres qui les ont confrontés tout au long du XIIIe et du XIVe siècle. Gênes est sous domination française et Venise se replie sur la constitution de son contado, c'est-à-dire l'étendue territoriale contrôlée et dépendant d'une ville. C'est aussi l'espace rural où la commune exerce son pouvoir public. Dans le cas de Venise, les historiens parlent de la Terre Ferme. En 1403, date inconnue s'il en est, Venise va remporter sur une flotte génoise, commandée par l'amiral Boucicaut, une bataille navale à Modon, au sud-ouest de la Grèce. L'extrait de la Chroniqued'Antonio Morosini (1363-1435) parle de cette bataille et de ses suites. Le texte, traduit du vénitien, est issu d'une compilation de la Société de l'histoire de France, publiée entre 1898 et 1902. Il s'intitule « Extraits relatifs à l'histoire de France (1396-1433) ».

Le texte n'est donc pas le manuscrit original. Toutefois, les compilateurs, Dorez et Lefèbvre-Pontalis, avaient le manuscrit original à leur disposition. Celui-ci existe toujours.

Les historiens ont fait analyser le papier du manuscrit ce qui leur permet d'affirmer qu'il date bien du XVe siècle, certainement fabriqué à Fabriano, ville sous domination vénitienne. Nous savons aussi qu'il fut certainement rédigé après 1418. En effet, Morosini écrivait sans doute au jour le jour, mais son manuscrit fut détruit sur décision du Conseil des Dix. La raison est obscure, mais les événements relatés auraient mis en danger la sécurité de la cité. Bien plus tard, Annibale Abati de Pesaro, qui l'acquiert on ne sait comment, en fait don au doge Marco Foscarini en 1756. En 1801, le manuscrit apparaît dans le bibliothèque de la couronne d'Autriche, acheté pour la modique somme de 10 880 livres. Le catalogue de cette bibliothèque sera établit en 1843 par Tommaso Gar qui publie se catalogue. La Chroniquereçoit une notice avec la description du contenu et la biographie de l'auteur.

Il apparaît que Dorez et Lefèbvre-Pontalis ont eut accès à ce manuscrit annoté. Finalement, par sa proximité avec le texte original, l'extrait en face duquel nous sommes est une source qui peut paraître intéressante car peu travaillé par les remaniements successifs que de nombreux documents médiévaux peuvent subir.

Seulement, il convient de nuancer cette première constatation.

Jean-Claude Hocquet signale que « peu de classes dominantes au monde ont attachés un tel prix à l'historiographie, à la chronique, qui magnifient dans une volonté apologétique sans égale le rôle des principales familles. »

Résultat : il faut prendre le texte avec prudence, sans pour autant le considérer comme totalement mensonger, car l'auteur pourrait avoir le réflexe de magnifier les événements qu'il raconte. En effet, les risques sont les exagérations, le recours au fantastique et aux analyses partisanes.

Pour comprendre le sens du texte, regardons comment Antonio Morosini a composé sa Chronique.

Auguste Molinier, dans le tome IV des Sources de l'histoire de France (1904), explique que les informations de Morosini sont de qualités diverses, mêmes si elles sont de première main, du moins concernant la période allant de 1388 à 1403.

Après 1388, la Chroniquede Morosini semble original, l'auteur ayant utilisé les nouvelles dont il a connaissance par les journaux de l'époque, les gazettes, et par les lettres qu'il reçoit de ses correspondants à travers l'Europe.

Morosini a également écrit une suite à sa Chronique, texte connu sous le nom de Diario. Son texte servit de source d'information à la Vie des dogesde Marino Sanudo et à la Chroniquede Pietro Dolfino. Un autres vénitien parle des mêmes événements dont il est question dans notre extrait. Il s'agit de Jacobo Zeno qui relate les hauts faits de Carlo Zeno, personnage important cité dans le texte.

Il ne convient pas de connaître uniquement la manière dont Morosini a composé son texte, mais aussi il s'agit de savoir qui il est pour comprendre sa vision des choses.

Déjà, il appartient à l'élite vénitienne. En effet, Jean-Claude Hocquet nous explique que « les nobles à Venise sont essentiellement ceux qui peuvent se prévaloir d'une généalogie, prestigieuse bien entendu, illustrée par la présence d'un doge ».

L'oncle d'Antonio, Michele, a été doge en 1382. La famille Morosini compte d'autres doges, aux XIIe et XIIIe siècles. Le père d'Antonio, Marco, habitait dans le centre de Venise, comme le stipule son testament, daté du 1er octobre 1368. Par le testament d'Antonio, daté du 1er mars 1377, nous savons que Marco est mort peu de temps avant, au début de l'année 1377.

Ce testament nous apprends surtout des choses intéressantes sur l'auteur de la Chronique. Nous savons qu'il possédait un esclave, Domenico. Nous avons aussi connaissance de sa richesse, qui s'élève à 1500 ducats or, plus des meubles et divers objets estimés à 200 ducats or. Il appartient à l'ordre de Saint-Dominique et à la confrérie des Pénitents de Santa-Maria della Misericordia. Il fera don de 570 ducats or à ses diverses ordres et associations de bienfaisance à sa mort. Comme tout citoyen vénitien de l'élite, il entre au Grand Conseil en 1388 à l'âge de 25 ans.

L'existence d'Antonio Morosini va de 1363 à 1435. Doris Stöckly, pour la période allant de 1350 à 1450 environ, parle « d'une « crise », d'une véritable dépression économique, due aux guerres et aux épidémies qui sévissent dans toute l'Europe. Ces facteurs ont eut des répercussions sur la démographie et sur la demande de biens de consommation, en particulier de blé. »

À ces troubles économiques, s'ajoute les guerres entre Gênes et Venise tout au long du XIIIe et du XIVe Siècle : la Première guerre entre 1261et 1270 ; la Deuxième guerre entre 1294 et 1299 ; la guerre des Détroits de 1351 à 1355 et la guerre de Chioggia, de 1377 à 1381, dont Morosini a été le contemporain.

Il faut ajouter à cela la peste, qui frappe l'Italie en 1349.

De fait, de 1349 à 1403, nous avons deux cités affaiblis, à la fois politiquement, militairement et économiquement. C'est dans ce contexte que s'inscrit le texte de Morosini et donc c'est au regard de ce contexte qu'il faut essayer de le comprendre.

Les événements de 1403, anodin car ces conflits épisodiques entre Gênes et Venise ne sont pas exceptionnels, permettent de nous montrer ce qu'était la lutte pour le contrôle des routes maritimes de la mer Méditerranée. L'intérêt supplémentaire du texte, c'est que l'usage de nouvelles pratiques, dans la seconde moitié du XIVe siècle, tel que la piraterie, les perfectionnements technologiques et l'évolution des réseaux commerciaux, a provoqué un changement des mentalités.

Il convient d'insister sur les limites du texte au niveau historique, puisqu'il parle peu de Gênes, ne mentionne que fort rarement, voire jamais, le nom de Boucicaut, pourtant gouverneur de la cité. Le texte reste aussi très centré – trop peut être – sur les pertes économiques de Venise. L'auteur détail le contenu des cargaisons des navires pillés par Gênes.

Peut-on parler d'une mise en avant d'une certaine « préférence nationale », doublé d'un fort ethnocentrisme ? Morosini, pour résumer très rapidement le texte, centre son discours sur les pertes économiques engendrées par les attaques des navires de Gênes après la bataille de Modon, remportée par Venise, décrivant avec précision les cargaisons et la valeur de ces cargaisons, ainsi que les circonstances dans lesquels elles ont été prises. L'exposé se fera en trois temps : les événements de 1403 dans une première partie ; les stratégies dans une seconde partie ; et les moyens dans une dernières partie.

 

I.LES ÉVÉNEMENTS DE 1403

 

En 1395, le doge de Gênes, Antonio Adorno, décide d'offrir la souveraineté de la ville au roi de France Charles VI. Le roi accepte au mois de mars 1396. Les troupes française prennent possession de Savone et de Gênes. Le maréchal Boucicaut devient gouverneur des deux cités en 1401. Il s'empare de la ville chypriote de Famagouste. À partir de l'île de Chypre, Boucicaut commence à piller les ports musulmans de Beyrouth, Tripoli et Alexandrie, alliés commerciaux de Venise. À Beyrouth, il s'empare même des entrepôts vénitien. La bataille navale de Modon, à la fin de 1403, fut une victoire de Carlo Zeno sur Boucicaut.

 

1.Les enjeux de la rivalité de 1403

 

Gênes, par cette entreprise de Boucicaut, cherche à conserver son monopole commercial sur l'ouest de la Méditerranée. En effet, elle assure des échanges avec les Flandres, la péninsule ibérique et les pays musulmans d'Afrique du Nord.

De cela, Morosini n'en parle pas du tout dans l'extrait à notre disposition ici. Dans le reste de la Chronique il est un peu plus ouvert, mais pas beaucoup plus. Dès l'abord, le texte nous renvoie cette impression particulière de quelqu'un qui reste enfermée dans ses affaires, s'occupant de celles des autres que lorsqu'elles le touche directement. C'est une limite du texte qu'il faut avoir à l'esprit.

Pour Venise, Morosini est plus explicite quant aux enjeux de la rivalité. La cité est fragile et elle doit préserver le contrôle de l'Adriatique coûte que coûte.

Venise défend Constantinople, la capitale de l'Empire byzantin, depuis la croisade de 1204. De plus, la cité contrôle la Romanie et possède le monopole sur les comptoirs de Caffa, de La Tana et de Trébizonde en mer Noire.

Ajoutons toutefois que, suite au traité de Turin, en 1381, qui clôt la guerre de Chioggia, Venise a perdu la Dalmatie au profit du royaume de Hongrie.

Venise est donc sur la défensive et cela se ressent dans le texte lorsque Morosini note que les galères génoises viennent jusque dans le Golfe de Venise pour s'emparer des navires vénitiens (lignes 8 à 9). La cité de Venise se doit de consolider son assise commerciale par une intervention de l'État dans l'activité économique. Pour un citoyen, membre de l'élite, une défaite militaire, une erreur stratégique, peu l'entraîner en prison.

Regardons ce que Morosini nous livre sur l'organisation, sur le fonctionnement de Venise.

 

2.Le fonctionnement de Venise

 

Morosini nous livre en fait peu d'éléments, mise à par la mention qu'il fait du Doge, du Conseil, à la fin du texte, et du lien hiérarchique qu'il sous-entend entre Carlo Zeno qui aurait délivré des lettres de commission (c'est-à-dire des lettres de course) à Mocenigo, pour rétablir l'ordre suite aux actes de piraterie des génois.

Depuis 1314, grâce au Livre d'Or, sorte de registre d'état civil, les historiens connaissent avec précision les naissances, les mariages et les décès des membres de l'aristocratie.

Déjà, les titres de noblesses n'existent pas. Les membres de l'élite se désignent sous le titre de « ser » et de « messer ». Ces deux mots sont présents dans le texte de Morosini, chaque fois qu'il écrit le nom d'un personnage.

Le Doge – Morosini cite le doge Michele Steno (mort en 1413) – est élu à vie et préside les Conseils, sans toutefois avoir le droit de voter. C'est un personnage influent, même si son pouvoir est limité par celui de l'aristocratie, de laquelle il est d'ailleurs issue.

En effet, il est élu par le Grand Conseil, qui domine réellement la vie politique vénitienne. Morosini y est entré en 1388 à 25 ans car c'est l'âge minimum pour avoir le droit de siéger, un peu comme la majorité dans nos démocraties.

Vers 1400, le Grand Conseil est composé d'un millier de membres. Ce sont eux qui élisent le Doge.

Le Grand Conseil nomme les conseillers, les inquisiteurs, les procurateurs de Saint-Marc et les magistrats. Il gère aussi la Quarantia, composée de 125 membres, qui sert de tribunal.

Le Conseil des Dix, dont les membres sont également issu du Grand Conseil, est un organe de haute police, créé en 1310, et il gère les affaires politiques internes.

Il en est question dans le texte de Morosini à la ligne de 49. Du moins, pour moi, c'est de lui qu'il parle.

D'ailleurs, ces pouvoirs sont étendu car il possède des fonds secrets et des informateurs (des espions). Il peut même condamner à mort le doge.

Carlo Zeno (1334-1418), dont il est question dans le texte, a été procurateur de Saint-Marc et grand amiral vénitien. Les procurateurs sont les seconds personnages de l'état.

Les trois inquisiteurs sont, quant à eux, chargés de détecter les actes d'intelligences avec l'ennemi.

Morosini, sans que l'on sache réellement les charges qu'il assumé, apparaît comme quelqu'un d'informé. Il a accès des renseignements précis, concernant à la fois les faits et gestes des génois dans les différents ports, mais aussi concernant les cargaisons des navires.

Ce point sur le fonctionnement de Venise a pour objectif de mieux comprendre comment Morosini pense les événements au regard des institutions de la cité.

 

II.LES STRATÉGIES

 

1.Le « Grand Commerce »

 

Les grandes cités mènent des politiques qui favorisent le contrôle des routes maritimes et la conquêtes des marchés en Méditerranée et au-delà, mais qui visent également à assurer les approvisionnements de la métropole en produits stratégiques.

Gênes et Venise sont très impliquées dans les conflits internes à la péninsule ce qui détournent parfois leurs efforts de la Méditerranée. Il est évident, et cela transparaît largement dans tout le texte de Morosini, que la compétition sur les mers et le contrôle des routes maritimes permet la domination commerciale des cités.

Des trouvailles techniques, comme le gouvernail d'étambot, la boussole et les cartes, vont rendre la navigation plus facile et donc moins dangereuse.

À Venise, les navires privés, armés par des particuliers, constituent la majorité des navires sous pavillon vénitien. Les capitaines, dont nous avons les noms dans le texte, appartiennent à de noble familles patricienne.

Quant aux types de navires utilisés, l'historien, pour les connaître, peut s'appuyer sur les textes et sur les graffitis. Morosini nous donnent des détails intéressants. Il cite la galère, la coque, la nef, la barque et le grip.

Les grandes galères marchandes faisaient environ 42 mètres de long pour un tirant d'eau de 2 mère et demi. Elles peuvent transporter 150 tonnes de marchandises. Le système des convois n'est pas encore normalisé, même si Morosini montre que les navires navigues souvent deux par deux. Venise était capable de mobiliser des flottes de combat de six à dix galères. La flotte de Mocenigo en compte six (ligne 31).

Seulement, pour armer des flottes de cette importance, il faut investir de l'argent. Les sommes cités par Morosini concernant la valeur des cargaisons est une indication.

 

2.L'investissement financier

 

Le XIVe siècle est celui du commerce maritime international. Les villes italiennes n'utilisent plus la voie fluviale pour traverser l'Europe. Elles passent par le détroit de Gibraltar pour rejoindre le Portugal, puis gagner la France, l'Angleterre et parfois le Saint-Empire. Certains navires vont en Mer du Nord et dans la Baltique. Cette mutation du commerce international est très important pour comprendre la montée en puissance des villes italiennes, particulièrement de Venise.

 

L'Incanto

 

À Venise, à cette époque, se met en place le système de l'Incanto, que décrit Stöckly dans son livre intitulé Le Système de l'Incanto des galées du marché à Venise (fin XIIIe-milieu XVe Siècle) (1995) et que vient complété, de manière très synthétique, Alberto Tenenti dans un article – certes assez ancien – publié en 1961 dans les Annales. « Le moteur du mécanisme est le contrat établi entre l'État, fournissant désormais les bateaux, et les armateurs qui, moyennant le paiement des enchères, assument la responsabilité de la navigation et s'assurent les droits de transport ».

 

L'esclavage

 

Dans le cas de l'esclavage, il s'agit d'un investissement. Les esclaves, dont Gênes et Venise faisaient le commerce, étaient vendus sur place. Ces esclaves servent souvent de domestique pour les familles aristocratiques. Les esclaves viennent de mer Noire, de la colonie de Caffa, plaque tournante de la traite médiévale. Ce trafic va durer du XIIIe au XVe siècle. La papauté s'y oppose en terre chrétienne, c'est-à-dire sur le continent européen. De plus, peu à peu, les États italiens vont être confrontés au surnombre des esclaves dans les villes. Toutefois, pour que la traite soit possible, tout comme le commerce en général, il faut aux cités des assises territoriales.

 

3.La domination coloniale

 

La domination coloniale est avant tout politique, par le développement d'institutions et d'administration liées à cette domination, tant en métropole que dans les colonies.

L'intérêt de ces possessions, notamment des îles, réside d'abord dans le contrôle des routes maritimes qu'elles permettent puisqu'elles constituent la possibilité de faire des escales et des points d'appui pour les flottes (comme c'est le cas de Pétra et de Modon dans le texte de Morosini).

Morosini montre surtout qu'elles font l'objet, ces « colonies », d'une exploitation économique. La Crète, que Morosini cite ligne 48, fait l'objet d'un contrôle étroit de Venise. Elle livre du blé et du sucre. Chypre développe la canna à sucre également. Le contrôle du commerce par l'État transparaît dans le texte puisque Lionardo Mocenigo, écrit Morosini, est envoyé par le grand amiral, Carlo Zeno, à Pétra « pour sûreté de nos deux coques ».

L'État tout entier est impliqué dans la protection des convois et des navires. L'attaque d'un navire pouvant constituer un prétexte de guerre. Venise a occupé de nombreux territoires, surtout les îles et les ports pouvant servir ses intérêts commerciaux. Les colonies d’exploitation la ravitaillaient en vin, en céréales, en fruits, en miel, en bois et matériaux de construction.

Trieste et l’Istrie, Zara, Raguse (qui affirmera ensuite son indépendance), Spalato, ont fait partie des possessions vénitiennes dans l'Adriatique. Au début du XVe siècle, la République possédait, au Levant : Corfou, la Crète (Candie) (achetée au marquis de Montferrat. Escale très importante sur la route de Chypre, de Beyrouth ou d’Alexandrie.), Coron et Modon (lieux de la bataille dont il est question dans le texte, surnommés « les yeux de la République », situés à l’extrême sud du Péloponnèse) Négrepont (Eubée), Chypre

Cet ensemble formait des escales, des places stratégiques sur la route de Constantinople, de la Mer Noire, de la Syrie ou de l’Egypte.



III.LES MOYENS

 

1.La « stratégie navale » de Venise

 

À Venise, le lien entre la flotte et le milieu maritime est étroit, autant parmi l'élite que parmi les gens du peuple car dans leur esprit la domination des mers ne pourra se faire que si la cité possède un dispositif portuaire adapté à ces ambitions politiques.

Dans l'esprit de Morosini, ce « lien » est évident puisqu'il s'attache à la stratégie maritime de sa ville et aux pertes en terme de ressources. En fait, les vénitiens ont compris que la domination passe par le contrôle d'une flotte puissante et efficace.

Un État fort permet d'exporter un modèle politique et économique dans les « colonies ».

Comme le rappel Morosini à la ligne 4, l'emblème de la cité est la bannière de Saint-Marc (auteur d'un évangile de la Bible). C'est un symbole.

Au sein de l'aristocratie, la discipline était stricte : les généraux risquaient la destitution en cas de défaite lors d'une guerre (Morosini semble reprocher son inaction à Mocenigo, ajoutant que le Conseil n'a pas procédé d'enquête contre lui) ; le déplacement d'un personnage ou de marchandises devaient être avalisé par une autorisation de l'administration (Mocenigo, explique Morosini, est en possession d'une lettre de commission signé par Carlo Zeno, grand amiral, l'autorisant à sortir du Golfe pour attaquer les navires ennemis).

Prévoir les fournitures et les provisions (les biscuits et les rames, par exemple, cargaison du premier navire dont parle Morosini), assurer le recrutement des équipages et gérer les communications entre les bases navales demande une réelle compétence, dont Morosini semble d'ailleurs très au fait. Morosini recense, dans sa Chronique, en moyenne, à peu près 25 départs par an.

Les convois de galères marchandes (mude) gérés par les patriciens en collaboration avec l’État avaient été institués au début du XIVe siècle, afin de rentabiliser les navires en temps de paix et d’améliorer la sécurité des marchands. La navigation de ligne, abondamment attestée dans les documents à partir des années 1330, fut d’une exceptionnelle constance et ne subit que de rares modifications jusqu’à l’abandon de son monopole par Venise, en 1534, et à sa disparition définitive peu après 1560.

 

2.La force génoise

 

Les navires corsaires contribuent, de manière complexe il est vrai, à l'affirmation de cette domination. Le maréchal Boucicaut, français commandant la flotte génoise et dirigeant la cité, est assimilé à un « pirate » par Morosini lui-même dans d'autres parties de sa Chronique.

Les plus actifs dans la pratique de « la course » sont les Catalans et les Génois. Gênes n'est pas capable d'affirmer sa souveraineté sur mer, mais localement, par des attaques, parfois « à tort et trahison » nous dit Morosini, elle peut réussir quelque coup d'éclat.

Morosini, en effet, insiste sur la méthode des Génois pour s'emparer des navires vénitiens. Il décrit les tromperies et les lâchetés des génois (« déployant l'enseigne de Saint-Marc » ; « attaquèrent de nuit » ; « rompre contre nous les traités »).

Les navires génois, comme nous le lisons dans le texte, attaquent les navires et opèrent des razzias, capturent les équipages (Morosini le mentionne à plusieurs reprises). Le rachat des captifs devient un enjeu économique. Il est réglementé.

La prise illégale d'un navire, par exemple en violation d'un traité de paix, comme c'est le cas dans le texte, autorise les poursuites.

Concernant les corsaires (ou les pirates, les deux termes avaient le même sens au moyen-âge), Morosini spécifie que Mocenigo est en possession d'une lettre de commission, c'est-à-dire du lettre de marque, lui permettant d'arraisonner les navires ennemis.

 

CONCLUSION

 

L'auteur veut montrer que leur défaite n'a pas empêché les Génois d'utiliser la piraterie pour s'emparer de navires vénitiens et que la réaction de la cité n'a pas été assez énergique (« il ne voulu point, afin de ne pas entrer en plus grande guerre avec eux » (l.46-47)). L'auteur insiste sur la faiblesse de Gênes (« très mal en point » (l.1)) et sur les grandes pertes de Venise (détail des cargaisons perdues). Il parle de l'attitude arrogante et provocante de Gênes, sous-entendu humiliante pour Venise (« dans notre Golfe » (l.9)). Finalement, il met l'accent sur la faible réaction de Venise qui se contente de protéger ses navires sans causer des dégâts chez l'adversaire afin de ne pas provoquer de conflit ouvert (« très grand et notable dommage eût pu être infligés aux Génois » (l.41)). Il a, selon moi, trois caractéristiques :

  •  
    • Il est rationnel : description des navires, de leur cargaison et de leur valeur monétaire (« patron », « chargement », « valeur en ducats d'or »)

    • Il est ethnocentrique : insistance sur la trahison et la fourberie des Génois (« grand trahison en lui déployant l'enseigne de Saint-Marc » (l.4) ; « à tort et trahison » (l.20)).

    • Il possède des connaissances géographiques précises : connaît le nom de certains comptoirs (Majorque, la Romanie, La Tana, les Flandres, Cadix, Modon, Zionchio, Péra, Sinope, Caffa, la Crète, Constantinople).

 

Le texte est le révélateur d'une époque :

  •  
    • Peur de la piraterie car entraînant des pertes financières et commerciales avec la prise des navires et la demande de rançon pour la libération des marins prisonniers. → SÉCURITÉ DES ÉCHANGES

    • L'ouverture du commerce méditerranéen vers l'Europe du Nord avec tout ce que cela entraîne comme évolution des « mentalités » et des « techniques maritimes » → LIBÉRALISATION DES ÉCHANGES.

    • La protection de ses intérêts particulier, ou de ceux d'une classe sociale, appartenant à un État. → VISION « NATIONALE » DES ÉCHANGES

 

Finalement, Venise nous apparaît, sur le plan militaire, ancrée dans les réalités géopolitiques de son temps, alors que se développe les prémisses du capitalisme moderne, que certains historiens, comme Jacques Heers, qualifie de « pré-capitaliste », même si le libéralisme économique, tel qu'il apparaîtra au XVIIe siècle, mais surtout au XVIIIe, n'existe pas encore.

L'esprit de Morosini est donc révélateur de son époque avec la volonté de décrire une situation – la rivalité entre Gênes et Venise en 1403 – en regard de ses conséquences sur l'activité de l'élite marchande vénitienne – profits (la valeur des cargaisons est parlante) et pertes (prise de cette cargaison par les navires génois).

Le texte est donc utile, vous l'aurez compris, pour apprendre des choses sur Venise, sur la navigation et le commerce à cette époque, même s'il faut prendre avec précaution la présentation des événements par l'auteur, notamment ses « oublis » (ne parle pas de Boucicaut).

 

Simon Levacher,

Licence 3, Université du Havre

 

BIBLIOGRAPHIE

 

Morosini, Dorez, Lefèvre-Pontalis, Germain (éd.). Chronique d'Antonio Morosini, extraits relatifs à l'histoire de France4. Étude sur Antonio Morosini et son oeuvre.

Annexes et tables. 1902.

 

Doumerc (Bernard), « Le dispositif portuaire vénitien (XIIe-XVe siècles) », dans Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public, 35e congrès, La Rochelle, 2004, « Ports maritimes et ports fluviaux au Moyen Age », p.99-116.

 

Hocquet (Jean-Claude), Capitalisme marchand et classe marchande à Venise au temps de la Renaissance. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 34e année, N. 2, 1979. pp. 279-304.

 

Hocquet (Jean-Claude), Solidarités familiales et solidarités marchandes à Venise au XIVe siècle. In: Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public. 27e congrès, Rome, 1996. pp. 227-255.

 

Hocquet (Jean-Claude), Venise et la mer, XIIe-XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 2006.

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