Ferdinand LOT, comme Patrick GEARY, ont intitulé leur livre Naissance de la France, l'un en 1948, l'autre quarante années plus tard, en 1988. Les deux ouvrages abordent la même période chronologique, c'est-à-dire les temps mérovingiens, allant de la fin du Ve siècle à l'accession au pouvoir royal des Carolingiens au milieu du VIIIe siècle. Le siècle qui suit la mort de Dagobert, en 639, m'intéresse surtout parce que c'est un « âge sombre », même si la fin de la dynastie mérovingienne n'a rien d'aussi noir que la tradition l'affirme souvent, bien au contraire. L'aristocratie prend corps, se détachant peu à peu des traditions romaines et gothiques pour devenir ce que nous connaîtrons dans les siècles qui vont suivre, c'est-à-dire la civilisation féodale, dont Jérôme BASCHET parle admirablement dans ce livre-référence La civilisation féodale(2006).
Notre description en décevra plus d'un d'entre vous car je vais me contenter de l'histoire politique. Le but est de montrer les dynamiques de cette période de transition, plutôt que de « rupture », entre le monde antique et le monde féodal, afin de voir émerger les forces de demain, comme nous dirions de nos jours. « L'histoire des Carolingiens est d'abord celle de l'ascension militaire d'une lignée aristocratique franque. Charles Martel, le maire du palais, sorte de vice-roi des Francs, avait acquis un grand prestige militaire après sa victoire sur les musulmans à Poitiers (en 732). Celui-ci rejaillit sur son fils Pépin le Bref, qui poursuivit son œuvre d'unification et acquiert un pouvoir tel qu'il peut, en 751, mettre fin au règne de Childéric, l'ultime roi mérovingien issu de la lignée de Clovis, et se proclamer à sa place roi des Francs. »1 (Baschet, 2006)
743, l'arrivée sur le trône de Childéric III.
Childéric III, en effet, a été rétabli sur le trône en 743 par Pépin et Carloman, les fils de Charles Martel, mort en 741. Le but est de contenir les aristocrates francs, à l'esprit quelque peu frondeur, aurait-on dis au XVIIe siècle. Contrairement à la tradition, véhiculée par Eginhard au IXe siècle, les « rois fainéants » ne sont pas des impotents sans pouvoir. Ils légifèrent toujours et ils possèdent des domaines fiscaux qui rapportent plus qu'on ne l'a également dit. Le prestige moral, unificateur, que représente la dynastie mérovingienne, et donc par là Childéric III, est très fort2. Comme nous le verrons, c'est un autre pouvoir moral, l'évêque de Rome, Zacharie – donc l'Église – qui mettra fin à un état de fait, pas les Pippinides directement, même s'ils z-y ont largement contribué.
747, l'imprévu retrait de Carloman.
« Les deux frères comprennent que ces troubles [avec Odilon de Bavière] s’autorisent de la vacance de la royauté. Ils cherchent un Mérovingien et le mettent sur le trône : ce sera Childéric III, encore plus impuissant, plus nul, s’il est possible, que ses prédécesseurs (743). » (Lot, 1948) Les mots de Ferdinand LOT sont dur avec le mérovingien. Il continu : « Un événement imprévu se produit en 747. Jusqu’alors les deux frères avaient marché d’accord, chose qui ne s’était encore jamais vue depuis la fondation de l’Etat franc. Cet accord aurait-il duré ? La question fut tranchée par la volonté même de l’aîné, Carloman. Il renonça au pouvoir spontanément. Ce guerrier vaillant, impitoyable à l’occasion, était travaillé par le sentiment religieux. Le monde lui fit horreur. » (Lot, 1948) Les conséquences en sont évidentes : voici Pépin seul maître de l'Union franque3. Il a les mains libres pour renverser les mérovingiens et s'installer à la place.
751, la déposition de Childéric III.
Pépin n'est pas un idiot. En 747, il a trente-deux ans. C'est un politicien des plus expérimenté. Il peut s'appuyer sur de puissants domaines en Austrasie, rivalisant largement avec ceux de ses adversaires. À Rome, l'évêque du moment est Zacharie (741-752), dont le pontificat correspond presque avec la période de transition – d'une décennie, tout de même ! - entre la mort de Charles Martel et la déposition du roi Childéric III. Les problèmes de l'évêque n'étaient pas des moindres, puisqu'il dût lutter contre les Lombards. Malgré l'excellence diplomatique de Zacharie, qui obtient un traité de paix, celui de Terni, en 742, renouvelé par Hildeprand, puis par Ratchis, et enfin par Aistolf, les Lombards se montrent offensifs en Italie. En effet, Aistolf n'est pas un roi pacifique pour un sou, et il attaque l'exarchat de Ravenne en 752. Il va même s'emparer de la ville, ancienne capitale impériale (de 402 à 476), alors possession de l'Empire romain d'Orient. Le VIIIe siècle est incontestablement un siècle de ferveur religieuse dans le monde occidental. Les Francs sont favorables à l'Église de Rome, ce qui permettra le rapprochement de Zacharie avec Pépin. « Au cours de l’année 750, Pépin députa auprès du pape Zacharie deux hommes de confiance, le chapelain Fulrad et l’évêque de Wurzbourg Burchard. » (Lot, 1948) Puis, ajoute Ferdinand LOT, « Pépin fut donc élu roi « selon la coutume des Francs » c’est-à-dire élevé sur le pavois, dans une assemblée de grands et d’évêques convoqués à Soissons, en novembre 751. » (Lot, 1948)
En 2011, le 1 500e anniversaire de la mort de Clovis est passé inaperçu. Pourtant, il aurait relevé le niveau politique de nos chefs d'États, dont nous sommes en droit de nous demander ce qu'il restera dans un millénaire et demi. Ce fut aussi le 1 260e anniversaire de l'arrivée sur le trône de Pépin le Bref, premier des Carolingiens.
_______Notes____________
1Baschet (Jérôme), La civilisation féodale, p.79
2Riché (Pierre), Les Carolingiens, p.69-70
3L'expression d'Union franque est une construction intellectuelle, car elle n'est employée par aucun historien à ma connaissance puisque je l'ai inventée. Elle a pour but de permettre une meilleure vulgarisation, afin de remplacer les expressions, courantes celles-ci, de regnum francorum ou de royaume des Francs.